Littérature contemporaine

Connemara, le roman de la crise de la quarantaine

Marc Bordier par Marc Bordier /

Connemara-Nicolas-Mathieu

Connemara

Le nouveau roman de Nicolas Mathieu, Connemara, caracole en tête des meilleures ventes en librairie depuis sa parution en février dernier. Dans la lignée de son précédent titre Leurs enfants après eux (prix Goncourt 2018), l’auteur y dresse avec brio une fresque sociale inspirée par la chanson Les lacs du Connemara de Michel Sardou, une rengaine populaire chantée aussi bien par les auditeurs de RTL dans leur voiture que par les étudiants HEC en fin de soirée, dans une communion improbable entre deux univers que tout sépare. Vous ne l’avez pas encore lu ? Voici quelques clés pour vous donner envie de vous y plonger.

 

Le récit de la crise de la quarantaine

Connemara raconte l’histoire de Christophe et Hélène, deux quadragénaires ayant grandi au milieu des années quatre-vingt dans la même petite ville de province de l’est de la France. A l’époque, Christophe, le beau gosse du lycée, était admiré de tous pour ses performances sportives au sein de l’équipe de hockey. Il sortait avec Charlotte, la meilleure amie d’Hélène, qui jalousait secrètement leur relation. La petite bande s’est dispersée après le bac et chacun est parti vivre sa vie. Resté dans son bled, Christophe a mené une existence ordinaire et dénuée d’ambition, marquée par un divorce et la naissance d’un fils qu’il élève désormais en compagnie de son père vieillissant. De son côté, Hélène a connu une belle ascension qui a fait d’elle une transfuge de classe. Après une école de commerce, elle a coché successivement toutes les cases de la réussite sociale : un beau poste dans un cabinet de conseil, un mari et deux enfants, une belle maison d’architecte… Et pourtant, à quarante ans, elle se demande si elle n’est pas passée à côté de sa vie. Lorsque son chemin croise de nouveau celui de Christophe, ils entament une relation amoureuse clandestine. Pendant quelques mois, ils jouent la partition qu’ils avaient laissée inachevée vingt-cinq ans plus tôt. Grâce à cette relation adultérine, Hélène échappe à son bovarysme et à la vacuité de sa vie professionnelle. De son côté, Christophe renoue avec ses rêves évanouis de réussite dans le monde du hockey professionnel. Jusqu’à ce que la réalité les rattrape l’un et l’autre…

 

Une fresque sociale et politique à la subjectivité assumée

Derrière le récit de ces deux vies, c’est un portrait en demi-teinte de la France d’aujourd’hui que dresse Nicolas Mathieu, avec ses tensions et ses lignes de fracture. Reprenant la grille d’analyse politique désormais classique du journaliste britannique David Goodhart, qui oppose les “gens de n’importe où” (les Anywheres) et les “enracinés” (les Somewheres), Nicolas Mathieu raconte à travers les parcours de Christophe et Hélène le fossé qui sépare la classe moyenne inférieure de province et les élites mondialisées de la startup nation macroniste. Avec malice, il oppose ainsi la France pavillonnaire et provinciale avec ses barbecues, ses bars tabac PMU, et celle des cabinets des conseil et des open spaces où fleurit une novlangue managériale truffée d’anglicismes. Sur le plan politique, ce tableau assume d’ailleurs une forme de subjectivité : s’il porte un regard tendre sur la France des gilets jaunes, Nicolas Mathieu se montre volontiers mordant dans sa satire de la startup nation, dont il dénonce avec une colère pleine d’ironie toute la vacuité, la cupidité et le cynisme.

 

Un roman nostalgique et existentiel

Au-delà de son caractère social et politiquement engagé, Connemara est aussi un roman sur le temps qui passe et les illusions qui s’effacent. Un peu comme le roman Trois de Valérie Perrin, mais avec plus de subtilité, il égrène au fil de ses pages les références aux émissions et aux tubes du passé pour mieux nous faire sentir le poids des années qui séparent l’adolescence de la quarantaine. “Qu’ai-je fait de ma vie ?”, “Suis-je encore capable d’aimer ?”, “Ce corps empâté peut-il séduire ? Parviendra-t-il à me porter jusqu’à la finale du championnat ?” Autant de questions que se posent les personnages du roman au mitan de leur vie, sans jamais véritablement trouver des réponses claires et définitives.

 

Ayant dépassé la quarantaine depuis un moment après un parcours qui ressemble beaucoup à celui d’Hélène (moi aussi, j’ai chanté Les lacs du Connemara en fin de soirée dans une école de commerce dans les années quatre-vingt-dix…), j’ai dévoré ce livre avec un plaisir narcissique puéril mais très stimulant (enfin un roman qui me parle de moi !). Après l’avoir refermé, j’ai détourné mon regard de mon petit nombril et tenté de comprendre ce qui le rend si captivant. Après quelques instants de réflexion, je suis arrivé à la conclusion que Nicolas Mathieu possède un talent inégalé pour camper des situations et des personnages en quelques formules bien senties (ah ! ce portrait d’un consultant en jeune giscardien capable de cracher de l’EBITDA à partir de trente pages de data en moins d’une demi-heure !). Vous êtes curieux de savoir comment il s’y prend ? N’attendez plus, l’épopée du Connemara vous attend.

Mots clés

Connemara, Nicolas Mathieu, Politique, Roman