Essais

L’ange et la bête – Bruno Le Maire

Marc Bordier par Marc Bordier /

L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’homme fait la bête.” Par cette formule célèbre, le philosophe Pascal résumait la condition de l’homme, être intermédiaire toujours partagé entre misère et grandeur. C’est en référence à cette maxime que Bruno Le Maire a choisi le titre du livre dans lequel il raconte ses trois premières années à la tête du Ministère de l’Economie et des Finances. Publié en janvier dernier, L’ange et la bête – Mémoires provisoires est le témoignage passionnant d’un ministre en exercice durant les trois premières années du quinquennat d’Emmanuel Macron, marquées notamment par une crise économique sans équivalent depuis la Seconde Guerre mondiale.

 

L’ange et la bête, récit au jour le jour de la vie d’un ministre

En découvrant dans ce récit, la première question qui vient à l’esprit du lecteur est tout simplement “mais comment a-t-il-trouvé le temps d’écrire ce livre ?” tant la pratique de l’écriture réflexive paraît incompatible avec les fonctions d’un ministre de l’Economie et des Finances. Dans le quotidien qu’il nous raconte, Bruno Le Maire décrit une vie incroyablement dense, rythmée par des réunions et des sommets internationaux à Bruxelles, Davos, Washington et Pékin. Il nous emmène ainsi dans les coulisses des négociations autour de la mutualisation des dettes européennes, nous raconte ses échanges avec le Secrétaire d’Etat américain au Trésor Steven Mnuchin pour lui faire accepter le principe d’une taxe de l’OCDE sur les géants du numérique… En homme qui aime à se coucher tôt, il ne cache pas son aversion pour les négociations européennes prolongées jusqu’au bout de la nuit, ni la servitude et la disponibilité de tous les instants qu’exige sa fonction. Mais au milieu de toute cette agitation, il éprouve le besoin de se recentrer dans le rituel matutinal de l’écriture pour donner un sens à son action. Le fruit de cette réflexion peut paraître parfois anecdotique, comme par exemple lorsqu’il décrit le regard de Vladimir Poutine, la posture de Donald Trump, où la commissure des lèvres d’Angela Merkel. Mais pour triviales qu’elles soient, ces observations nous rappellent combien les actions qui influent sur la vie de millions de citoyens proviennent de personnalités individuelles, avec leurs ambitions et leurs défauts (on en revient à la citation de Pascal). De manière plus introspective, il livre aussi dans ces pages ses interrogations et ses doutes au moment où il doit prendre des décisions importantes face à la crise économique inédite causée par le coronavirus.

 

L’ange et la bête – un essai politique

Au-delà de sa dimension narrative, L’ange et la bête peut aussi être lu comme un essai dans lequel un responsable politique de premier plan partage son engagement citoyen et sa vision du monde. Observateur privilégié des évolutions de la planète, Bruno Le Maire analyse la montée en puissance des inégalités à l’échelle mondiale sous l’influence d’un capitalisme violent tiré par la formidable croissance économique de la Chine et la persistance d’un modèle économique américain fondé sur la prééminence du capital. Face à ces visions incarnées politiquement par Donald Trump et Xi Jinping, Bruno Le Maire défend un modèle européen solidaire et démocratique, fondé non sur des rapports de force, mais sur la raison et l’intelligence. Conscient des effets délétères des inégalités sur la démocratie, il place leur réduction au cœur de ses priorités avec un programme qui passe non pas par des hausses des impôts et des transferts nationaux, mais par une fiscalité internationale plus juste et plus efficace qui passe notamment par la taxation des géants du numérique et l’introduction d’un montant minimum de l’impôt sur les sociétés. Dans la lignée de la philosophie pascalienne, il prône une politique du juste milieu pour remédier aux désordres économiques qui agitent le monde.

 

Mon avis de lecteur – L’ange est la bête est-il un bon livre ?

Il est toujours difficile de formuler un avis objectif sur un livre écrit par un homme politique : en fonction de votre orientation politique, le jugement que vous porterez sera mélioratif ou négatif. Cependant, quelle que soit votre opinion sur Bruno Le Maire, je vous invite à lire L’ange et la bête car cet objet littéraire à mi-chemin entre le récit et l’essai offre un point de vue particulièrement intéressant sur l’action d’un haut responsable à un moment crucial dans l’histoire économique mondiale. Personnellement, j’ai trouvé sa lecture passionnante. Mon seul regret est que son auteur se soit limité au volet économique de l’action gouvernementale. Certes, compte tenu de sa fonction cela paraît tout à fait légitime, mais ce choix occulte de facto la cause première de la crise économique : en passant sous silence la crise sanitaire et la manière très discutable dont elle a été gérée par le gouvernement auquel il appartient, Bruno Le Maire agit avec l’esprit de finesse d’un homme qui a trop lu les Mémoires de Saint-Simon pour ignorer les mécanismes du pouvoir. Peut-être, le moment venu, nous en dévoilera-t-il plus dans la suite de ses mémoires provisoires…

Mots clés

Bruno Le Maire, Economie, Essai, L'ange et la bête, Politique, Récit