Essais

A lire avant d’aller voter : Macron ou le mystère du verbe

par Marc Bordier / 30 avril 2022

Emmanuel Macron a été réélu Président de la République ! En lisant cette phrase, certains d’entre vous ont laissé s’échapper un cri de victoire, d’autres peut-être levé les yeux au ciel en affichant une moue boudeuse, voire franchement grimaçante. Quelles que soient vos opinions, vous vous interrogez désormais sur la politique qu’il va mener durant ce second mandat. L’annonce imminente du nouveau gouvernement et de ses chantiers prioritaires vous apportera peut-être quelques éléments de réponse, mais ils seront sans doute partiels et difficiles à interpréter tant la pensée politique d’Emmanuel Macron est énigmatique. Dans un article paru hier à propos des premiers choix du Président réélu, Le Monde parle de la nécessité d’expliciter une pensée jugée trop “complexe” et qui soulève pas mal de questions : comment définir le macronisme ? Est-il de droite ou de gauche ? Quels sont ses ressorts et ses principes ? Pour le savoir, je vous invite à vous plonger dans un excellent essai de sociologie politique paru en mai 2021 aux éditions de l’Aube, Macron ou le mystère du verbe.

 

Le positionnement politique d’Emmanuel Macron tel qu’il transparaît dans ses discours ? Un libéralisme solidaire.

 

Dans Macron ou le mystère du verbe, l’historien et linguiste Damon Mayaffre analyse la pensée d’Emmanuel Macron à travers les discours qu’il a prononcés d’octobre 2016 à décembre 2020. En faisant appel au logiciel Hyperbase et à l’intelligence artificielle, l’auteur élabore un vaste commentaire composé dans lequel il décortique la sur ou sous-représentation de certains mots ou tournures dans les discours macroniens, notamment par rapport à ceux de ses prédécesseurs sous la Vème République. Cette analyse approfondie permet au lecteur de mieux appréhender le positionnement du macronisme sur l’échiquier politique : libérale en matière économique et politique dans la mesure où elle affirme le primat de la liberté de l’individu, du travail, de la libre entreprise et de la libre concurrence, le pensée macronienne défend en même temps la notion de solidarité et la protection étatique, dans une sorte de jeu d’équilibre subtil qui met tantôt l’accent sur la notion de liberté (notamment dans les discours tenus durant sa première campagne présidentielle et au début du quinquennat), tantôt sur la solidarité et la protection (notamment durant et après la crise Covid), selon le désormais fameux diptyque “libérer et protéger“.

 

L’essence du macronisme : le mouvement, le pragmatisme et la foi en la science pour dépasser les antagonismes stériles et tendre vers un idéal de progrès et d’union dont l’Europe constitue l’aboutissement

 

Au-delà de la question du positionnement politique, le linguiste s’intéresse aux ingrédients qui constituent l’essence de l’idéologie macronienne. En premier lieu, il y a le mouvement, qui est ici à lui-même sa propre finalité : chez Emmanuel Macron, peu importe la destination, la République est “en marche” sans qu’il soit nécessaire de préciser pourquoi ou vers quoi. Elle avance vers un “projet”, mot vague et suffisamment souple pour s’adapter aux aléas de la vie politique et économique, là où “programme” serait plus engageant et enfermant. Dans une habile dissimulation de son caractère idéologique, ce discours se présente avant tout comme pragmatique et efficace, c’est-à-dire fondé sur une rationalité scientifique, technique et économique. Dans les discours prononcés en 2020 au cœur de la crise sanitaire, Denis Mayaffre relève ainsi l’omniprésence des références aux avis scientifiques du Conseil de Défense. Depuis la parution de son livre, les révélations sur l’influence grandissante des cabinets de conseil au sein de l’Etat ont confirmé combien la république macronienne valorise l’avis rationnel et technique des experts dans la gestion des affaires publiques. En s’appuyant sur cette intelligence rationnelle, le macronisme entend ainsi dépasser les antagonismes ancestraux fondés sur des préjugés idéologiques et mener la société française vers le progrès économique, social, intellectuel et moral dans une union dont l’Europe constitue l’aboutissement.

 

Une généalogie complexe et multiple : du gaullisme au hollandisme

 

Ayant ainsi défini le positionnement et l’essence du macronisme, le linguiste analyse sa généalogie en comparant ses discours à ceux de ses prédécesseurs. En faisant ressortir les similitudes mais aussi les écarts sémantiques entre leurs discours, Denis Mayaffre met à jour les origines complexes et multiples du macronisme. De Gaulle est sans doute le Président dont il est le plus éloigné sur le plan lexical : en effet, malgré ses références fréquentes à la figure hautement symbolique du Général, notamment pour s’approprier la geste héroïque et rassembleuse de l’épopée gaullienne, Emmanuel Macron lui ressemble finalement assez peu dans le vocabulaire qu’il emploie. En revanche, par sa richesse lexicale et son registre de langage volontiers littéraire, il se rapproche de Georges Pompidou, avec qui il partage la compétence économique (tous deux sont d’anciens banquiers) et littéraire (l’un est normalien et auteur d’une anthologie poétique, l’autre a été l’assistant du philosophe Paul Ricoeur). De Giscard, il a hérité un langage parfois technocratique, ennuyeux et professoral ; de Mitterrand, l’égotisme de celui qui dit souvent “je”; de Chirac, l’attachement au consensus républicain et la volonté de rassembler les Français au moment où s’installe une défiance démocratique (on pense au discours sur la fracture sociale du candidat Chirac et au grand débat de Macron pour sortir de la crise des gilets jaunes) ; de Sarkozy, la valorisation du travail et du mérite; enfin, il emprunte à Hollande un girondisme incarné sur le plan lexical par l’omniprésence du mot “territoire” dans le corpus discursif présidentiel.

 

Que vous vous rangiez parmi ses partisans ou ses opposants, je ne saurais trop vous recommander la lecture de ce livre. Elle vous apportera un éclairage précieux pour comprendre la pensée politique d’Emmanuel Macron. A défaut de connaître précisément les décisions et réformes qui se préparent, vous pourrez faire un choix éclairé lors des élections législatives des 12 et 19 juin prochains.