
Poésie
L’Art, Elizabeth Bishop
par Marc Bordier /

J’ai retrouvé le poème L’Art d’Elizabeth Bishop, auquel le roman d’Alice Zeniter emprunte son titre. C’est une villanelle, un poème répétitif en dix-neuf vers, dans lequel la poétesse américaine médite sur la perte de ceux qu’elle aime. Il commence par des pertes anodines – ses clés, la montre de sa mère – avant d’aborder les déchirures plus douloureuses de la perte d’un pays ou d’un être aimé.
Le choix de ce poème donne une unité thématique au roman, et il me paraît assez judicieux. Il existe sans doute quantité de poèmes pour évoquer la mort et la solitude, mais celui d’Elizabeth Bishop présente le double mérite d’évoquer à la fois le déracinement (“J’ai perdu deux villes, de jolies villes”) et le deuil (“Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste que j’aime) je n’aurai pas menti”). En conclusion, comment mieux résumer le destin des harkis ?
L’Art – Elizabeth Bishop
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ;
tant de choses semblent si pleines d’envie
d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.
Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre
tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit.
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.
Puis entraîne toi, va plus vite, il faut étendre
tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis
le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.
J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière
ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie !
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.
J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,
des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.
Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste
que j’aime) je n’aurai pas menti. A l’évidence, oui,
dans l’art de perdre il n’est pas trop dur d’être maître
même si il y a là comme (écris-le !) comme un désastre.
Elizabeth Bishop, Géographie III, traduction de Alix Cléo Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard, Circé, 1991, p. 58 et 59.
Pour aller plus loin : quelques articles et critiques du roman d’Alice Zeniter parues dans la presse
Un entretien avec Alice Zeniter paru dans Le Monde
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