
Poésie
Ballade de celui qui chanta sous les supplices
par Marc Bordier /

Il y a quelques jours, j’étais en Charente, à Saint-Simon-de-Bordes, pour assister à un cérémonie en l’honneur de cinq maquisards assassinés par les nazis le 27 juillet 1944 : Marcel Danger, René Suberbielle, Léon Renaud, Noël Boileau et Robert Bordier, mon grand-père. A cette occasion m’est revenu à l’esprit ce très beau poème d’Aragon, la Ballade de celui qui chanta dans les supplices. Publié en 1943 sous le pseudonyme de Jacques Destaing, il fut d’abord un hommage clandestin au résistant communiste Gabriel Peri, qui fut torturé et fusillé au Mont Valérien en 1941 sans jamais révéler le nom de ses camarades. A la Libération, ce poème est devenu le symbole du martyr de tous les partisans. Adoptant la forme médiévale d’une ballade lyrique, il mêle les voix d’un jeune résistant et celles de ses bourreaux. Les insinuations doucereuses de ces derniers lui promettent un semblant de liberté pour lui-même s’il accepte de parler, mais il choisit courageusement de leur tenir tête (“Et s’il était à refaire je referais ce chemin“) et de retrouver la liberté dans la mort pour sauver l’humanité. Je vous invite à le relire en ayant une pensée pour tous ceux qui se sont engagés sur ce chemin.
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Ballade de celui qui chanta sous les supplices – Aragon
…
Et s’il était à refaire
Je referais ce chemin
Une voix monte des fers
Et parle des lendemains
…
On dit que dans sa cellule
Deux hommes cette nuit-là
Lui murmuraient “Capitule
De cette vie es-tu las
…
Tu peux vivre tu peux vivre
Tu peux vivre comme nous
Dis le mot qui te délivre
Et tu peux vivre à genoux”
…
Et s’il était à refaire
Je referais ce chemin
La voix qui monte des fers
Parle pour les lendemains
…
Rien qu’un mot la porte cède
S’ouvre et tu sors Rien qu’un mot
Le bourreau se dépossède
Sésame Finis tes maux
…
Rien qu’un mot rien qu’un mensonge
Pour transformer ton destin
Songe songe songe songe
A la douceur des matins
…
Et si c’était à refaire
Je referais ce chemin
La voix qui monte des fers
Parle aux hommes de demain
…
J’ai tout dit ce qu’on peut dire
L’exemple du Roi Henri
Un cheval pour mon empire
Une messe pour Paris
…
Rien à faire Alors qu’ils partent
Sur lui retombe son sang
C’était son unique carte
Périsse cet innocent
…
Et si c’était à refaire
Referait-il ce chemin
La voix qui monte des fers
Dit je le ferai demain
…
Je meurs et France demeure
Mon amour et mon refus
O mes amis si je meurs
Vous saurez pour quoi ce fut
…
Ils sont venus pour le prendre
Ils parlent en allemand
L’un traduit Veux-tu te rendre
Il répète calmement
…
Et si c’était à refaire
Je referais ce chemin
Sous vos coups chargés de fers
Que chantent les lendemains
…
Il chantait lui sous les balles
Des mots sanglant est levé
D’une seconde rafale
Il a fallu l’achever
…
Une autre chanson française
A ses lèvres est montée
Finissant la Marseillaise
Pour toute l’humanité
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