Essais

Goodbye Britannia – Le récit du Brexit

Marc Bordier par Marc Bordier /

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Goodbye Britannia

En cette semaine où nous avons célébré la journée de l’Europe (le dimanche 9 mai), j’ai lu avec beaucoup d’intérêt Goodbye Britannia, un essai dans lequel l’ex-Ambassadrice de France en Grande-Bretagne Sylvie Bermann raconte comment elle a vécu le Brexit. Son récit commence au moment où elle prend son poste en 2014 : de retour en Europe après plusieurs années passées en Chine, elle découvre dans le Royaume-Uni une culture à la fois très proche et très différente de la France. Le pays est alors au sommet de son influence : remis de la crise financière et dopé par l’organisation réussie des jeux olympiques de 2012, la Grande-Bretagne traverse une période de stabilité et de prospérité qui lui vaut l’admiration du monde entier. Son pouvoir d’attraction se concentre à Londres, cette ville-monde qui accueille des communautés très diverses, des riches oligarques russes aux Pakistanais en passant bien évidemment par les Français. Réputé pour ses universités prestigieuses, son esprit pragmatique et son climat propice aux affaires, le Royaume-Uni brille alors par sa créativité et son dynamisme. Sur le plan politique et diplomatique, le pays était parvenu à influencer la construction européenne à son avantage en contribuant à l’émergence du marché unique européen tout en préservant très largement son indépendance et ses habitudes insulaires.

 

Pourtant, au milieu de toute cette prospérité, un malaise grandissant s’installait dans la vie politique et intellectuelle du pays : poussée au départ par une minorité de l’aile droite du parti conservateur, l’idée d’une sortie de l’Union Européenne commençait à agiter les esprits. Pour mettre un terme à ce débat délétère, le Premier Ministre de l’époque, David Cameron, a promis un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne. La suite de l’histoire est connue : après  une campagne qui a vu les passions nationalistes et xénophobes s’étaler au grand jour, les Brexiters sont parvenus, grâce à leur slogan choc (Take back control) et en manipulant l’opinion publique grâce aux réseaux sociaux, à provoquer la victoire du Leave, plongeant le pays dans l’incertitude et le doute. Au terme d’une longue et douloureuse période de négociation et de transition, le Royaume-Uni a finalement quitté l’Union Européenne en 2020.

 

Ayant déjà eu l’occasion de croiser Sylvie Bermann à deux reprises à l’époque où j’étais moi-même expatrié à Londres, j’étais curieux de connaître son point de vue sur ces événements. Comme elle, je me rappelle très bien la sidération et la profonde déception que j’ai éprouvées au réveil le 25 juin 2016. Comment un peuple réputé pour son pragmatisme et son ouverture d’esprit a-t-il pu ainsi céder au nationalisme et au populisme ? A défaut de pouvoir répondre véritablement à cette question, Sylvie Bermann nous livre quelques clés : la mentalité insulaire des Britanniques, la nostalgie de leur empire disparu, le contexte européen de la crise migratoire, et bien sûr la campagne diaboliquement efficace des Brexiters ont tous été des facteurs déterminants. Dans un chapitre particulièrement incisif au titre évocateur (Goodbye Britannia – Whodunit?), l’autrice va jusqu’à désigner les coupables : David Cameron, qui par irresponsabilité et légèreté a mené son pays au bord du gouffre ; et bien sûr Boris Johnson, qui n’a pas hésité à lui faire franchir le pas, commettant au passage pas mal de gros mensonges, comme elle l’explique dans cet entretien donné au journal The Guardian.

 

J’ai trouvé le point de vue de Sylvie Bermann pertinent et ses observations intéressantes, en particulier lorsqu’elle situe le Brexit dans le contexte géopolitique plus large de la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis, en s’appuyant sur son expérience antérieure d’Ambassadrice de France à Pékin. Toutefois, je suis plus réservé sur les conclusions qu’elle tire : comme beaucoup de représentants des élites françaises et anglaises nourries à la lecture du Monde et du Guardian (mes deux journaux favoris), elle prédit un avenir sombre à un Royaume-Uni livré à lui-même face aux grandes puissances que sont les Etats-Unis, l’Europe et la Chine. Pourtant, depuis la publication de Goodbye Britannia en janvier 2021, l’audace et le pragmatisme des Britanniques ont fait un retour triomphal avec le succès de leur campagne de vaccination contre la Covid-19 au moment même où celle des Européens patinait, victime de la bureaucratie, de la pusillanimité et de l’absence de vision de ses décideurs. En tant que fervent pro-européen et contempteur du Brexit et de ses passions nationalistes, j’ai été à la fois déçu par l’apathie des Européens et agréablement surpris par le dynamisme retrouvé des Britanniques. Maintenant que les débats reviennent à la raison et que l’horizon s’éclaircit, espérons que les deux camps sauront tirer les leçons de la double crise du Brexit et de la Covid-19.

Mots clés

Brexit, Essai, Europe, Grande-Bretagne, Royaume-Uni, Union Européenne