Littérature contemporaine

A beau mentir qui vient de loin ou l’art du mensonge dans le récit de voyage

Marc Bordier par Marc Bordier /

A beau mentir qui vient de loin

Il y a quelques semaines, l’écrivain François Garde était de passage à la librairie Arthaud pour y présenter A beau mentir qui vient de loin, son dernier ouvrage paru en janvier aux éditions Gallimard. Dans ce recueil de nouvelles écrites durant les périodes de confinement en 2020 et 2021, l’ancien lauréat du prix Goncourt du premier roman s’interroge sur la ligne parfois ténue entre réalité et fiction dans le récit de voyage. Quelle est la part de vérité et de mensonge dans les magnifiques romans que les littérateurs tirent de leurs pérégrinations ? Les histoires qu’ils rapportent dans leur besace sont-elles véridiques ou inventées ? A quel moment et pourquoi la narration ou la description des paysages et des coutumes des pays lointains basculent-t-elles dans l’invention ?

 

Une réflexion originale sur le rapport entre la vérité et la fiction dans le récit de voyage

D’emblée, le titre du recueil annonce la couleur : A beau mentir qui vient de loin est un proverbe apparu au XVIIème siècle pour exprimer la facilité avec laquelle un voyageur revenu d’un pays lointain peut enjoliver la vérité dans le but de séduire son auditoire. Dans la préface de son livre, François Garde explique sa fascination pour cette expression de la sagesse populaire. Selon lui, il existe une relation de proportionnalité inverse entre la Vérité et la Distance, car l’auteur d’un récit de voyage est toujours tenté d’embellir ses impressions pour faire rêver ses lecteurs. Pour autant, faut-il condamner cette pratique ? Non, car le but du mensonge dans le récit de voyage est de susciter chez le lecteur un désir d’évasion. Quoi de plus naturel pour un voyageur qui souhaite partager son enthousiasme pour les terres lointaines qu’il a découvertes ?

 

Ayant ainsi exposé sa théorie personnelle en introduction, François Garde l’illustre à travers treize nouvelles qui explorent le genre du récit de voyage sous différentes formes : voyage en imagination grâce à une liste d’ingrédients aux noms évocateurs de contrées exotiques (Les caves de Castel-Ombreux), voyage médiatique à travers une photographie qui fait le tour du monde (L’Europe en ruine), cartes imaginaires gravées dans l’esprit d’un indigène (La carte de Tupa’ia), voyage onirique et fantastique restitué dans une lettre d’amour à la manière des romans épistolaires du XVIIIème siècle (L’Île des Eveillés), liste d’excuses invraisemblables (Onze raisons de ne pas aller à Fougères), etc. Dans leur variété et leur diversité, ces nouvelles assument pleinement leur relation de fantaisie et de liberté par rapport à la vraisemblance et la véracité des faits.

 

Qu’importe la vérité, pourvu qu’on ait le plaisir !

La théorie étant ainsi posée et mise en scène, quelles conclusions peut-on en tirer au moment de refermer le livre ? Que la vérité dans le récit de voyage importe finalement assez peu. Seul compte véritablement le plaisir du récit, dans cette relation de connivence entre le narrateur et son lecteur et dans les images qu’ils partagent en esprit. C’est pourquoi, au-delà de leur diversité, les treize nouvelles qui composent le recueil ont en commun une dimension ludique, plaisante et fantaisiste, comme si le conteur et son lecteur jouaient en permanence. Dans le ballet qu’ils dansent entre vérité et fiction, le mensonge est pleinement assumé de part et d’autre. Pourquoi le récit de voyage serait-il tenu de se plier à une règle de véracité ? Finalement, le seul principe que l’écrivain voyageur doit suivre est celui que Racine a énoncé dans sa préface à Bérénice : “La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première“.

Mots clés

Fiction, François Garde, Nouvelles, Récit de voyage