Littérature contemporaine

Et moi, je vis toujours

Marc Bordier par Marc Bordier /

Et moi, je vis toujours

Et moi, je vis toujours : une prosopopée de l’histoire universelle des hommes…

Dans L’Histoire du Juif errant, Jean d’Ormesson racontait le mythe de ce juif condamné à parcourir le monde jusqu’à la fin des temps pour avoir refusé un verre d’eau à Jésus sur le chemin du calvaire. Dans Et moi, je vis toujours, il prolonge ce récit au moyen d’une prosopopée, figure de style qui consiste à donner la parole à une entité qui ne peut la prendre. En l’occurrence, il s’agit de l’histoire universelle des hommes, qui se raconte elle-même en s’incarnant tour à tour dans différents personnages, tantôt humbles, tantôt puissants, de la préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine, en passant par les conquêtes d’Alexandre, la chute de Rome, la naissance de l’Islam, la découverte de l’Amérique,  la Renaissance, la poésie de la Pléiade, l’art baroque, le miracle du classicisme français, le siècle des Lumières, la Révolution française, l’émergence de la science et les grandes guerres du XXème siècle. Ludique et léger, le récit vole de personnage en personnage, jouant sur les points de vue, les époques, et les lieux pour mieux souligner l’incroyable diversité de l’aventure humaine.  A l’arrivée, cela donne un livre passionnant, d’une érudition foisonnante et légère, curieuse, papillonnante, mobile et versatile, capable d’embrasser de son intelligence les grands récits de l’humanité  dans un tourbillon vertigineux de 280 pages qui laisse le lecteur ébloui et pantois. Présente dès l’incipit malicieusement inspirée de Proust et de Dante  (“Longtemps, j’ai erré dans une forêt obscure.”), la littérature parcourt tout le récit, comme si l’Histoire ne pouvait exister sans les troubadours, poètes et écrivains qui l’ont transmise de génération en génération jusqu’à nous. Dans les dernières pages, elle cède la place à la philosophie et la métaphysique,  à l’heure où l’écrivain vieillissant s’efface devant ses interrogations sur l’avenir de l’humanité face à la marche du temps.

…qui est aussi une autobiographie testamentaire

Avec ce dernier roman, Jean d’Ormesson nous fait relire l’histoire des hommes, mais il se raconte aussi lui-même  à travers lers thèmes, les idées et les lieux qu’il a admirés et mis en scène dans ses ouvrages précédents (L‘Histoire du Juif errant, bien sûr, mais aussi son Autre histoire de la littérature française, ou Un jour, je m’en irai sans en avoir tout dit). Davantage qu’une histoire de l’humanité, Et moi, je vis toujours est aussi une autobiographie intellectuelle, le testament d’un être curieux et passionné, amoureux des livres et des hommes.  Certes, le livre n’est pas exempt de défauts, et on décèlera bien ça et là quelques traces de coquetterie ou de narcissime. Mais c’est aussi un très beau témoignage qui enchantera tous ceux que la disparition du grand écrivain a laissés orphelins.