Littérature anglaise

Stephenie Meyer – Fascination (Twilight tome 1)

Marc Bordier par Marc Bordier /


En attendant de recevoir Un Monde sans fin, j’ai poursuivi sur ma lancée de best-sellers anglo-américains en lisant Fascination, le premier tome de la désormais célèbre saga de Stephenie Meyer. Inutile de vous raconter l’intrigue : vous la connaissez déjà (et si vous prétendez que non, c’est que vous mentez). Qui a échappé au phénomène Twilight ? Commencée à l’automne 2005 avec la publication du premier tome, la série a rapidement séduit un public de jeunes lectrices. Portée par le bouche à oreille sur Internet (4,6 millions de fans déclarés sur Facebook, 228 000 abonnés sur Twitter…) et par deux adaptations cinématographiques, elle a ensuite conquis un large public, jusqu’à atteindre les intellectuels snobs comme moi (je plaisante, bien sûr…). Au-delà de l’efficacité indéniable du marketing, quelles sont les recettes littéraires de ce succès ?

En premier lieu, l’histoire. A l’instar de Ken Follett et de tous les auteurs à succès, Stephenie Meyer a compris l’importance de captiver ses lecteurs en leur racontant une bonne histoire. On peut à ce titre lui reconnaître un certain mérite : elle a su régénérer habilement le mythe du vampire en le débarrassant de ses oripeaux les moins ragoûtants (les cercueils, les cryptes, les chauves-souris, la mauvaise haleine, les pieux, etc. – tout ce que l’on trouve dans le roman de Bram Stoker ou les films traditionnels de la Hammer et que, personnellement, j’adore) pour mieux mettre en valeur son pouvoir de séduction, son romantisme tourmenté et son potentiel érotique. Sur la forme, cette histoire est servie par une narration simple, efficace et sans longueurs inutiles. Les descriptions (forêt de La Push, maison des Cullen) sont réduites au minimum nécessaire pour créer une ambiance. Le mystère autour de la nature réelle d’Edward est habilement instillé, puis savamment dévoilé. Les moments dramatiques sont stratégiquement placés pour garder le lecteur sous tension. L’économie générale du roman et la stratégie narrative qu’il met en œuvre sont plutôt réussies, comme en témoigne son succès immédiat auprès d’un lectorat adolescent dont l’attention a été formée (déformée ?) à l’école de la télécommande et de la lecture sur Internet.

Dans la même veine, l’écriture est sobre, simple, épurée, presque transparente : aucune figure de style, aucune construction syntaxique complexe ou inhabituelle, aucune recherche d’associations phoniques ou rythmiques agréables à l’oreille, l’essentiel est que le lecteur comprenne l’histoire. Tout au plus peut on relever quelques images précieuses au détour d’une description (p. 130) : « La vue était toujours aussi époustouflante. Les vagues couleur acier, même par beau temps, s’abattaient, moutonneuses, sur la côte rocheuse grise. Des îles aux falaises escarpées émergeaient des eaux du port ; leurs sommets étaient découpés en multiples pics et plantés de hauts sapins austère. La plage n’était qu’une mince bande de sable le long de l’eau, vite remplacée par des millions de grandes pierres lisses qui, de loin, paraissaient uniformément ardoise mais qui, de plus près, couvraient toutes les palettes de la roche : ocre foncé, vert océan, lavande, gris-bleu, or terne. La laisse de la haute mer était jonchée de bois flotté, énormes troncs blanchis par les vagues salées, certains amalgamés à la lisière de la forêt, d’autres gisants, isolés, juste au-delà de l’atteinte du ressac. Un vent vif, frais et chargé de sel soufflait du large. Des pélicans flottaient au gré de la houle tandis que des mouettes blanches et un aigle solitaire tournoyaient au-dessus. Les nuages bordaient toujours le ciel, menaçant de l’envahir à tout moment mais, pour l’instant, le soleil brillait bravement dans son halo bleu. » Ca vous plaît ? Tant mieux, tournez la page et lisez la suite du récit. Les pélicans qui flottent au gré de la houle, c’est suffisamment évocateur pour créer une ambiance et « faire littéraire » tout en retenant le souffle du lecteur, et c’est ce qui compte.
Enfin, les personnages. En dépit de son apparente complexité liée à son origine surnaturelle, celui d’Edward est probablement le moins intéressant. Beau, généreux, fin, racé, stylé, intelligent, fort, riche, cultivé, dévoué, fidèle, protecteur, romantique, artiste… il cumule tous les qualificatifs de l’homme idéal et incarne ici le héros convenu d’un roman sentimental classique. Tant de perfection le rend à mes yeux un peu fade et ennuyeux, mais sans doute suis-je jaloux…. De toute façon, il tient bien son rôle dans l’histoire, c’est l’essentiel.
Bella me paraît plus digne d’intérêt. Adolescente vulnérable et maladroite, elle s’efforce tant bien que mal de grandir entre des parents divorcés avec lesquels elle éprouve des difficultés à communiquer : sa mère a refait sa vie dans le sud, et leur relation à distance ne passe que par des communications téléphoniques ou épistolaires forcément imparfaites ; son père est un officier de police certes attentionné et protecteur, mais aussi bourru et surtout plus à l’aise pour regarder un match de sport devant son téléviseur que pour échanger des confidences avec sa fille. Enfin, au déracinement géographique (arrivée dans la ville pluvieuse de Forks dans l’état de Washington), culturel et familial s’ajoute pour Bella le secret de sa relation avec un vampire, qu’elle ne peut bien entendu dévoiler à ses parents, ni à qui que ce soit d’ailleurs. Il en résulte un isolement complet, une déréliction à laquelle la jeune fille ne pourra échapper qu’en menant à bien une double quête : celle d’une intégration sociale d’abord, puisqu’elle devra se constituer des amis dans son nouveau lycée tout en se gardant des jalousies suscitées en chemin ; et surtout, celle d’une relation amoureuse réussie en dépit des obstacles extraordinaires que sont la soif de sang d’Edward et le vampire traqueur James. Dans cette double quête de construction de lien vers autrui, l’héroïne fera l’apprentissage de l’amour et de la vie sexuelle dans une tension dialectique entre fascination et appréhension envers l’objet aimé. En somme, le personnage de Bella condense toutes les contradictions et les épreuves de l’adolescence. Dès lors, il réunit les conditions d’une identification forte chez les lectrices, qui constitue selon moi l’origine principale du succès de la série.
Est-ce que j’ai aimé ce roman ? Oui et non. Oui, parce que je me suis volontiers laissé prendre par l’histoire et, je l’avoue, j’ai éprouvé du plaisir à la lire durant la période des fêtes. Non, parce qu’il reste une lecture superficielle, un simple divertissement. Que restera-t-il du phénomène littéraire Twilight dans cinquante ans ? Probablement pas grand’chose.