Littérature étrangère

Umberto Eco – le Cimetière de Prague

Marc Bordier par Marc Bordier /

Poursuivant sur ma lancée italienne, j’ai mis à profit ce week-end pascalien pour entamer le dernier roman d’Umberto Eco, Le Cimetière de Prague. J’ai choisi ce livre sans même en connaître le sujet ni avoir lu la moindre critique, sur la seule foi de son auteur – dont la réputation n’est plus à faire – et de son titre – la référence à la ville de Prague me plaisait. Je dois avouer que son début m’a dérouté : le premier chapitre est écrit entièrement au conditionnel (incipit: « Le passant qui en ce matin gris du mois de mars 1897 aurait traversé à ses risques et périls la place Maubert… »), comme si le récit essayait de cheminer à tâtons dans une mémoire incertaine et nébuleuse; le Narrateur qui apparaît reconnaît d’emblée son impuissance dans une longue phrase au style amphigourique (p. 14: « Le Lecteur ne doit pas non plus s’attendre que le Narrateur lui révèle qu’il s’étonnerait en reconnaissant dans le personnage quelqu’un de déjà précédemment nommé car (ce récit débutant juste à présent) personne n’y a jamais été nommé avant, et le Narrateur lui-même ne sait pas encore qui est le mystérieux scripteur, s’il se propose de l’apprendre (de conserve avec le Lecteur) tandis que tous deux, en intrus fouineurs, suivent les signes que la plume de l’autre couche sur le papier. »); le personnage principal, frappé, semble-t-il, de schizophrénie, tente de définir sa propre identité dans le chapitre 2 (intitulé « qui suis-je ?»), et la caractérise par deux passions qu’il met curieusement sur le même plan, son amour pour la bonne cuisine et sa haine pour les juifs; et pour finir, il entame une désagréable tirade dans laquelle il accumule sans vergogne les pires poncifs de la « pensée » antisémite…

Tout cela produit une impression déplaisante et ne donne guère envie au lecteur de poursuivre plus avant. Au bout de dix pages, j’ai été tenté de refermer le livre. Malgré tout, j’ai décidé de poursuivre. La littérature n’est-elle pas parfois ardue ? Ne mérite-t-elle pas quelques efforts ?. Après tout, A la recherche du temps perdu débute aussi d’une manière étrange et improbable avec un narrateur en proie à des difficultés d’endormissement. Assez rapidement, je suis arrivé à la conclusion que ce début de roman remplit une fonction d’écrémage. « Tant pis pour le lecteur paresseux, j’en veux d’autres » écrivait Gide dans Les Faux-monnayeurs. Eh bien, Umberto Eco dit à peu près la même chose dans les inutiles précisions érudites qu’il a ajoutées à la fin de son ouvrage (p. 546). Il s’en explique dans un entretien accordé au Figaro Magazine en mars dernier : «Je crois que les éditeurs et les directeurs de télévision se trompent en pensant que le public a besoin de livres et d’émissions faciles, relevant du pur divertissement. […]. En France comme en Italie, on sous-estime le niveau d’exigence des lecteurs. » Le lecteur paresseux est donc prié de passer son chemin.

Parvenu à la moitié du récit, je ne regrette pas mes efforts, mais il est encore trop tôt pour juger. Je livrerai ici ma critique quand j’aurais achevé ma lecture. En attendant, je cours m’y replonger.