Voyages

Je suis revenu à Montréal

Marc Bordier par Marc Bordier /

Montréal-centre-ville-hiver

Retour à Montréal

J’ai passé la semaine dernière à Montréal, ville où j’ai vécu quelques unes des plus belles années de ma vie lors d’une première expatriation il y a une quizaine d’années. En me promenant au petit matin (décalage horaire oblige), j’ai constaté avec plaisir qu’elle n’avait pas beaucoup changé. Partout où se porte le regard, il glisse le long des rues interminables qui parcourent l’île en damier, bordées d’immeubles de brique marron aux escaliers extérieurs apparents, parfois entrecoupées de larges boulevards et d’entrepôts. Cette ville n’est certainement pas belle,  et en débarquant le voyageur constatera bien vite qu’elle n’a ni l’élégance, ni la sophistication des grandes métropoles européennes. Mais s’il prend le temps de la découvrir, il la trouvera accueillante, généreuse et chaleureuse. Métissée est multiculturelle, Montréal est une fête perpétuelle qui offre au visiteur une animation tout au long de l’année, du festival des lumières l’hiver à celui de jazz l’été.

Les vertiges d’une cité verticale

Depuis le belvédère du Mont Royal, le centre-ville rappelle que cette grande cité fluviale est avant tout nord-américaine, avec  les hautes silhouettes de ses tours modernes entourés de volutes de fumées qui s’évaporent dans le ciel bleu vif de l’hiver. Bien avant l’apparition des gratte-ciels, cette impression de verticalité était déjà soulignée au début du XXème siècle par le romancier, essayiste et poète Robert de Roquebrune dans son recueil de poésies L’invitation à la vie (1916) :

   “Montréal, c’est une ville qui est là derrière la brume. Sous les fumées qui sont au-dessus de ses maisons et de ses églises, des routes noires et grises, elle est une île. Et elle est, dans l’eau du fleuve immense, comme un navire avec, au-dessus, des fumées.  Les rues sont hautes entre les maisons, et l’on y marche comme quelqu’un qui serait tombé dans un précipice, dans une gorge ou un défilé ; les rues sont hautes car ce sont des rues d’Amérique du Nord et la foule les remplit et s’y meut comme l’eau dans les fjords et dans les canaux.

 […] Là-haut, au bout des rues, la montagne se dresse comme une joie subite et que l’on n’attendait pas. Elle serre ses arbres comme des doigts autour du cimetière municipal, et les morts sont là-haut moins loin du ciel. Les vivants, eux, sont en bas, dans les rues.”

Montréal, une ville unique au monde

Pour célébrer en lectures ces retrouvailles avec Montréal, j’ai choisi un classique de la littérature québecoise, La grosse femme d’à côté est enceinte, qui est aussi le premier tome des Chroniques du Plateau de Mont-Royal,  par le célèbre auteur et dramaturge montréalais Michel Tremblay. Il y a une quinzaine d’années, au moment où je préparais mon expatriation au Québec, j’avais déjà essayé de le lire, mais le livre m’était tombé des mains tant j’avais du mal à comprendre le français québecois, et plus particulièrement sa version populaire parlée, le joual. Depuis, j’ai appris à savourer cette langue à la fois très proche et très différente de la nôtre, et surtout très connotée géographiquement et culturellement, parfaitement adaptée pour restituer l’ambiance populaire du quartier du Plateau dans les années quarante. C’est sans doute le grand mérite de Michel Tremblay que de lui avoir donné une véritable place dans la littérature, et de contribuer ainsi à façonner l’identité de cette ville unique au monde.