Poésie

Les Pas – Paul Valéry

Marc Bordier par Marc Bordier /

Femme_nuit

   “Mes vers ont le sens qu’on leur prête. Celui que je leur donne ne s’ajuste qu’à moi, et n’est opposable à personne. C’est une erreur contraire à la nature de la poésie, et qui lui serait mortelle même, que de prétendre qu’à tout poème correspond un sens véritable, unique, et conforme ou identique à quelque pensée de l’auteur.C’est par cette réponse malicieuse que Paul Valéry traite la délicate question de l’interprétation de son œuvre poétique et de la poésie en général. Ce faisant, il affirme la très grande liberté du lecteur et apporte un baume apaisant à tous ceux qui s’angoissent à l’idée de ne pas comprendre la signification d’un poème.
   Les Pasconstitue une bonne illustration de cette conception de la poésie. Dans ce petit poème lyrique tiré du recueil Charmes, le poète s’adresse à une figure féminine indéterminée et savoure le son de ses pas dans l’attente d’une rencontre qui promet d’être fertile et créatrice. Est-ce l’inspiration qui vient le toucher de sa grâce, ou bien une amante qui vient se glisser dans son lit ? Paul Valéry, adepte de la simplicité, préférait la seconde interprétation, et voyait dans Les Pas un petit poème purement sentimental. Qu’importe ! Le lecteur est libre de juger par lui-même et de comprendre ce poème comme il le voudra. Finalement, l’essentiel n’est probablement pas de lui donner un sens, mais de goûter le rythme régulier de sa composition (quatre quatrains d’octosyllabes) suggérant une marche lente, souple et continue, la musicalité de ses sonorités, et la fécondité des images par lesquelles il associe les thèmes de la création poétique et de la rencontre amoureuse.
Les pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.

 

Personne pure, ombre divine,
Qu’ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !… tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !

Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l’apaiser,
A l’habitant de mes pensées
La nourriture d’un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d’être et de n’être pas,
Car j’ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n’était que vos pas.