Poésie

Le premier givre – Arsène Houssaye

Marc Bordier par Marc Bordier /

Paysage_hivernal

En cette matinée de grand froid hivernal, j’ai retrouvé un poème d’Arsène Houssaye tiré du recueil La Poésie dans les bois. L’auteur est surtout connu pour avoir été le dédicataire du Spleen de Paris de Baudelaire, mais il n’est guère lu aujourd’hui. Dans ce poème, il établit un lien symbolique entre le dénuement d’un paysage hivernal et la misère d’une mère qui veille sur son enfant. Les images et les thèmes que le poème met en scène – l’hiver, le froid, la campagne gelée, la mort, les ténèbres, le dénuement – ne sont pas très originaux, mais j’aime bien le procédé narratif qui consiste à partir d’un paysage et des impressions qu’il produit pour attirer l’attention du lecteur sur la misère paysanne et délivrer implicitement un message humaniste.
L’hiver est sorti de sa tombe,
Son linceul blanchit le vallon ;
Le dernier feuillage qui tombe
Est balayé par l’aquilon.
Nichés dans le tronc d’un vieux saule,
Les hiboux aiguisent leur bec ;
Le bûcheron sur son épaule
Emporte un fagot de bois sec.
La linotte a fui l’aubépine,
Le merle n’a plus un rameau ;
Le moineau va crier famine
Devant les vitres du hameau.
Le givre que sème la bise
Argente les bords du chemin ;
À l’horizon la nue est grise :
C’est de la neige pour demain.
Une femme de triste mine
S’agenouille seule au lavoir ;
Un troupeau frileux s’achemine
En ruminant vers l’abreuvoir.
Dans cette agreste solitude,
La mère, agitant son fuseau,
Regarde avec inquiétude
L’enfant qui dort dans le berceau.
Par ses croassements funèbres
Le corbeau vient semer l’effroi,
Le temps passe dans les ténèbres,
Le pauvre a faim, le pauvre a froid
Et la bise, encor plus amère,
Souffle la mort. — Faut-il mourir ?
La nature, en son sein de mère,
N’a plus de lait pour le nourrir.