Littérature étrangère

Millénium – Stieg Larsson

Marc Bordier par Marc Bordier /

Tout d’abord, je veux souhaiter une excellente année 2009 à tous ceux qui lisent ce blog. J’espère qu’elle sera pour vous riche en lectures et en découvertes de toutes sortes. Pour ma part, je viens d’achever le tome 2 de la désormais cultissime série Millénium. Au départ, j’étais assez réticent : je ne lis presque jamais de polars et suis en général méfiant vis-à-vis des best-sellers (en relisant cette phrase, je suis effrayé par le snobisme qu’elle dénote, mais elle a le mérite de la sincérité). D’ailleurs, ce n’est pas moi qui ai acheté les trois tomes de Millénium, on me les a offerts pour mon anniversaire, en juillet dernier. J’aimais bien le titre de ces ouvrages, surtout celui du tome 2 (La Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette), mais cela ne suffisait pas à me donner envie de les ouvrir. Je les ai donc laissés traîner quelques mois sur les étagères de ma bibliothèque,avant de me décider à en entreprendre la lecture. Et là, j’ai tout de suite été captivé. Comme la majorité des lecteurs de Stieg Larsson, j’ai avalé les six-cents pages du premier tome en quelques jours à peine. A mon tour, j’étais atteint par la Milléniumania.

Aujourd’hui, je m’interroge sur ce phénomène. Pourquoi les aventures de Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander exercent-elles sur nous un tel pouvoir d’attraction ? Comment expliquer un tel engouement ? Quelles sont les raisons de ce succès ?

En premier lieu, il y a bien sûr l’intrigue. Quoi de plus important pour un roman policier ? Dans les deux tomes que j’ai lus – il me reste encore à découvrir le troisième – elle est solidement bâtie et repose sur un mystère complexe dont le dévoilement progressif est savamment orchestré pour tenir le lecteur en haleine. Ensuite, la narration : tout le talent de l’auteur consiste à la mettre au service de l’enquête en multipliant les perspectives. Ainsi, dans le tome 2, les recherches sur le meurtre de Mia et Dag Svensson sont menées en parallèle par trois équipes différentes (Mikaël Blomkvist, Lisbeth Salander, les policiers), ce qui permet au narrateur de multiplier les points de vue sur un même événement et de distiller au lecteur sous différents angles les pièces du puzzle pour qu’il s’amuse à le reconstituer. En soi, le procédé n’est pas très nouveau, mais Stieg Larsson sait l’utiliser à bon escient, et le résultat obtenu est très réussi. Plus innovant est selon moi l’emploi des italiques pour exprimer les pensées des personnages, relativement fréquent dans les scènes d’action comme dans les dialogues. Par exemple, dans ce passage (t.2, p. 345), où Günnar Björck reçoit un appel indésirable :

« – C’est Mikaël Blomkvist, entendit-il à l’autre bout du fil.

Merde alors.

– Il est minuit passé, je dormais. »

Quoi de plus simple et de plus trivial que ce « Merde alors » glissé entre deux répliques ? Pas très littéraire, sans doute, mais diablement efficace pour restituer l’état d’esprit de Günnar Björck au moment où il décroche le téléphone.

Autre élément important : les personnages. Stieg Larsson parvient à leur donner du relief tout au long de son récit, et leur récurrence d’un tome à l’autre nous les rend plus familiers encore. Celui de Lisbeth Salander est particulièrement intéressant et gagne en profondeur entre le premier et le deuxième volet de la série : fille rebelle à l’enfance tourmentée, elle est devenue en grandissant une autiste surdouée et violente, capable du meilleur comme du pire. Vivant en marge de la société, elle s’est construit au fil des années une morale très tranchée qui fait d’elle une protectrice dévouée à la bonté sans limites pour ceux qu’elle aime (Holger Palmgren, Mimmi Wu), mais aussi une Erinye d’une impitoyable férocité pour tous les salauds qui croisent son chemin (Martin Vanger, son père, son demi-frère).

Enfin, l’atmosphère des romans est assez prenante. Leurs personnages évoluent dans le même monde que le nôtre : nous les voyons faire leurs courses au supermarché et connaissons la liste détaillée de leurs achats (y compris les désormais fameuses Billy’s pan pizza) ; ils se rendent chez Ikea pour meubler leur appartement (quoi de plus normal, surtout en Suède ?), boivent des cafés latte à longueur de journée (une vraie publicité pour Starbucks) et utilisent un matériel informatique de grande qualité (nous savons tout des performances du processeur ou de la taille de l’écran de leurs netbooks). En même temps ce monde est peuplé de dangereux criminels, de pornographie violente, de sympathisants nazis, de psychopathes sadiques et incestueux. Sous la normalité paisible et idyllique de petits bourgs de province se cachent des secrets glauques et des histoires horribles. A tout moment, le crime et le fait divers sont prêts à faire irruption dans notre quotidien, et bien entendu, nous, lecteurs, en frissonnons de plaisir.

Voilà ce qui fait à mes yeux de Millénium un thriller haletant, le succès littéraire de l’année 2008. Son seul défaut réside probablement dans le texte lui-même, où le style brille par son absence. De toute évidence, l’essentiel pour Larsson n’est pas là, et dans ce domaine il n’a guère fait d’efforts. Pire encore, le récit est desservi par une très mauvaise traduction, dont Jacques Drillon a d’ailleurs pointé toutes les faiblesses dans un article de Bibliobs (http://bibliobs.nouvelobs.com/2008/04/17/les-bourdes-de-millenium). Mais le lecteur qui ouvre Millénium oublie très vite ces petites imperfections et se laisse bientôt emporter par le récit. D’ailleurs, il est temps pour moi de poser ma plume et de me plonger dans le tome 3. Bonne lecture et bonne année à tous !