Littérature étrangère

Les Délices de Tokyo, de Durian Sukegawa

Marc Bordier par Marc Bordier /

Cerisier japonais, les Délices de Tokyo, Dorian Sukegawa

Trois ans après sa parution au Japon en 2013, le petit roman de l’auteur japonais Durian Sukegawa Les Délices de Tokyo a connu un succès unanime auprès des lecteurs français. Certes, il bénéficiait déjà d’une certaine notoriété grâce à l’adaptation cinématographique de la réalisatrice Naomi Kawase, primée au festival de Cannes en 2015. Mais la portée du film est restée limitée aux cinéphiles curieux et aux amateurs de culture japonaise, tandis que le livre a véritablement séduit un large public, allant jusqu’à remporter le prix des Lecteurs du Livre de Poche en septembre 2017. Comment expliquer un tel engouement ?

Une histoire d’amitié et de pâtisseries japonaises

   Les Délices de Tokyo raconte l’histoire de Sentarô, un pâtissier japonais qui exerce son métier sans grande passion pour rembourser des dettes contractées après un séjour en prison. Chaque jour, il ouvre sa petite échoppe et prépare des dorayaki, sortes de petites crêpes fourrées d’une pâte sucrée de haricots rouges. Mais les ingrédients que Sentarô utilise sont industriels, ses crêpes manquent de goût, et sa petite affaire vivote tant bien que mal. Un jour, une vieille dame du nom de Tokue se présente pour lui offrir ses talents de pâtissière. Sentarô refuse dans un premier temps, mais il finit par accepter de l’embaucher, malgré un étrange pressentiment face à cette vieille femme étrange aux mains difformes. En dépit de son infirmité, Tokue révèle des dons inégalés pour préparer la pâte de haricots rouges, et bientôt les clients affluent dans la pâtisserie. Parmi eux se trouve Wakana, une lycéenne curieuse qui va se prendre d’amitié pour Sentarô et Tokue. Le trio vit des moments heureux dans la petite échoppe, jusqu’au jour où Tokue disparaît mystérieusement…

Cuisine et poésie

Oeuvre d’un écrivain diplômé de pâtisserie et amoureux du goût, ce roman nous dévoile les secrets à  fabrication des dorayaki, depuis le choix des ingrédients parmi les multiples espèces de haricots azuki, jusqu’au soin apporté à l’obtention d’une pâte savoureuse et à la texture harmonieuse. Ode à la pâtisserie japonaise et à ses saveurs si particulières, le roman se pare d’une aura poétique  et métaphysique dans les passages où la vieille Tokue parle amoureusement à ses haricots pour leur insuffler une âme. Cela confère au roman de Durian Sukegawa un charme auquel les lecteurs français ont été sensibles.

Un roman sur l’empathie et la construction du lien avec autrui

Bien plus qu’une simple affaire de goût, la pâtisserie joue dans le récit un rôle fondamental : par un glissement métaphorique, la pâte des haricots azuki est un ciment qui vient unir et guérir des êtres abîmés par la vie. Les personnages principaux du roman, Sentarô, Tokue et Wakana ont tous les trois vécu des expériences douloureuses comme la maladie, la prison ou l’isolement. La pâtisserie leur offre une voie vers la reconstruction de soi, et un pont vers l’autre . Après la disparition de Tokue, Sentarô et Wakana vont l’emprunter pour remonter vers son passé et comprendre le mystère qui se cache derrière la difformité de mains de la vieille dame. Par cet acte d’amour, ils vont symboliquement réparer une fêlure ancienne et cicatriser une blessure inscrite dans l’histoire nationale japonaise (je ne vous en dis pas plus pour ne pas dévoiler la fin). Cette conclusion inattendue est sans doute la clé du succès des Délices de Tokyo : récit empathique et positif, le roman de Durian Sukegawa a touché le coeur de ses lecteurs. Finalement, cet auteur japonais francophone et francophile n’a fait que suivre le conseil de Racine dans la préface de Bérénice : “La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première.”

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Mots clés

dorayaki, Dorian Sukegawa, Les Délices de Tokyo, littérature japonaise, Prix des lecteurs du Livre de poche