Littérature contemporaine

Un roman new-yorkais : “The Futures”, d’Anna Pitoniak

Marc Bordier par Marc Bordier /

roman new-yorkais

Après les sagas historiques de Ken Follett, j’ai eu envie de lire quelque chose de complètement différent. Mon choix s’est porté sur The Futures, roman new-yorkais de la crise financière de 2008, par Anna Pitoniak. Dans ce récit, elle met en scène un couple de jeunes diplômés venus tenter leur chance à New York après de brillantes études à l’université de Yale. Evan, un jeune Canadien aux origines provinciales et modestes, se laisse séduire par la perspective d’une ascension sociale et économique rapide en rejoignant un fond d’investissement prestigieux; Julia, jeune femme issue de la bourgeoisie de la Nouvelle Angleterre, rejoint une fondation artistique financée par de riches banquiers de Wall Street. Sans le savoir, ils sont tous deux très exposés aux marchés financiers, et leur relation amoureuse ne survivra pas à la crise des subprimes qui survient en 2008. Ce roman est le récit de la dislocation d’un couple sur fond de faillites de grandes banques et de krach du système financier.

Un roman new-yorkais

J’ai bien aimé le sujet de The Futures. Contrairement aux attentats du 11 septembre 2001, la crise des subprimes n’a pas été largement exploitée par la fiction, alors qu’elle contient dans son essence de très bons ingrédients romanesques :  le renouvellement permanent et l’énergie inépuisable de New York, la cupidité sans fin des banquiers de Wall Street, l’arrivisme, le matérialisme et l’ambition sociale, l’ascension et la chute spectaculaire des grandes banques et fonds d’investissement qui dominent la finance mondiale, la destruction créatrice… Ces thèmes constituent les éléments incontournables du roman new-yorkais, un genre littéraire né au XXème siècle, qui a fait de la ville de New York non seulement le cadre de nombreux romans, mais également son personnage principal. Qu’ont en commun le Bûcher des vanités (Tom Wolfe), American psycho (Brett Easton Ellis), ou Trente ans et des poussières (Jay McInerney)? Ils utilisent les passions de New York, son énergie et son fol appétit d’argent comme moteur essentiel de la narration, un peu à la manière d’un Zola racontant l’ambition, l’arrivisme et la soif de luxe dans le Paris du Second Empire.

Un roman d’apprentissage existentiel

Tout en s’inscrivant dans la tradition du roman new-yorkais, The Futures se distingue par le choix de ses personnages. En effet, si les banquiers sont bien présents tout au long du roman et participent à la construction de l’intrigue en provoquant une crise financière aux répercussions mondiales, ils n’en restent pas moins des figures secondaires. Les deux véritables héros sont ce jeune couple venu tenter sa chance à New York alors qu’ils font leur début dans la vie, à une époque où tous les chemins sont encore possibles. Dans son titre américain, le roman joue habilement sur le double sens du mot Futures en anglais : il renvoie bien sûr de manière explicite au futur de ces jeunes amants, mais son emploi au pluriel désigne aussi un produit financier hautement spéculatif (le contrat à terme, par lequel un acheteur s’engage à acheter à une date future et à un prix et une quantité déterminés un produit dit “sous-jacent” comme le blé, le pétrole ou des actions), soulignant par là-même le danger et les incertitudes qui pèsent sur les destinées des héros. La spéculation ici n’est donc pas purement économique : elle prend une dimension existentielle et philosophique. The Futures est le récit de deux vies mises sur la balance du destin. Quelques années plus tôt, avec leur solide diplôme de l’Ivy League, Julia et Evan auraient certainement connu une ascension fulgurante, et ils auraient pu figurer parmi ces power couples qui font la vie de New York. Hélas ! Ils se sont brûlé les ailes sur la crise financière….

Une tragédie inéluctable

Dès le début du roman, le lecteur pressent que cette histoire d’amour et d’ambition finira mal. Dès lors, tout le talent de la romancière consiste à renforcer ce sentiment d’inéluctabilité, comme le faisaient autrefois les auteurs de tragédies classiques. Pour cela, Anna Pitoniak utilise une technique narrative simple, en alternant les points de vue à chaque chapitre selon le principe de la focalisation interne. Ce procédé n’a rien de bien original, et il a fait le succès de nombreux romans contemporains (Ken Follett l’utilise par exemple abondamment dans Une colonne de feu). La nouveauté tient ici au fait qu’il est utilisé dans le contexte d’une dispute amoureuse qui va crescendo, en donnant à lire au lecteur les pensées des amants que la frénésie de la vie new-yorkaise éloigne chaque jour davantage. Ainsi, en lisant le récit d’une même scène du point de vue de l’un, puis de l’autre, le lecteur ne peut s’empêcher de leur donner raison à tous les deux, et il lui prend l’envie de jouer le rôle du thérapeute conjugal et de réconcilier les deux tourtereaux. Bien entendu, c’est impossible, et il ne lui reste plus qu’à contempler impuissant l’engrenage implacable qui, page après page, le conduit jusqu’au naufrage final.

Mots clés

Anna Pitoniak, New York, roman new-yorkais, Tragédie