Littérature contemporaine

Un père en colère – Jean-Sébastien Hongre (1/2)

Marc Bordier par Marc Bordier /

Hongre Un père en colère

   «Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien et de personne, alors c’est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie.» Je me rappelle avoir découvert cette citation de Platon sur un feuillet épinglé au mur d’un commissariat de Bordeaux. Dans ce temple de l’ordre républicain, elle déployait toute sa signification avec force et clarté. En lisant le roman Un Père en colère  de Jean-Sébastien Hongre cette semaine, je me suis dit qu’elle aurait pu y figurer en épigraphe. Ce livre court – à peine deux cents pages – raconte le désarroi d’un père face à ses deux enfants à la dérive dans une cité imaginaire de la banlieue parisienne. Stéphane, la quarantaine, vit séparé de Nathalie, avec qui il a eu deux enfants, Fred et Léa. A l’adolescence, ces derniers se sont progressivement affranchis de l’autorité de leurs parents pour vivre la vie des gamins de la cité, faite de trafics de drogues et de virées nocturnes en compagnie de “kairas”, ces caïds qui font régner la terreur dans les quartiers. Nathalie, alors qu’elle était encore une jeune professeur de français idéaliste, a fait le choix de venir enseigner à Saugny, une banlieue défavorisée au nord de Paris. Face à ses enfants qu’elle ne reconnaît plus, elle sombre chaque jour davantage dans la dépression, et finit par se jeter en voiture contre un mur un soir de déprime. Gravement blessée, elle reste durant plusieurs semaines dans le coma. Stéphane lui rend visite au chevet de son lit d’hôpital, et chaque jour sa colère grandit contre l’égoïsme et le laxisme qui ont éloigné ses enfants et abouti à ce gâchis. Un jour, il couche par écrit sa fureur face à une société devenue l’ennemie des valeurs éducatives en créant un blog qui connaît un succès fulgurant, au point d’attirer l’attention des médias. Devenu célèbre après son passage à la télévision sur TF1 et M6, Stéphane s’attire l’animosité de toute la cité, et surtout celle de ses propres enfants. Désormais indifférent à son travail, il est licencié et finit par s’abîmer dans la tristesse et la solitude, jusqu’au jour où un nouveau passage dans une émission de téléréalité va précipiter les événements.

    Jean-Sébastien Hongre mène son récit à la manière d’un thriller, dans un style sobre et dénué d’affectation, en découpant la narration en chapitres courts et taillés au couteau, comme pour mieux refléter la violence et la brutalité de la société qu’il décrit. Il en résulte un roman haletant qui se lit d’une traite. A la fin, le lecteur est à la fois conquis et un peu amer tant la démonstration est sombre et implacable. Car Un père en colère est aussi et surtout une charge contre l’idéologie soixante-huitarde, incarnée ici par Bruno, le père de Nathalie, et par quelques sociologues pontifiants invités sur les plateaux des talks shows et des émissions de téléréalité. En rejetant l’autorité et les valeurs morales, ils ont livré l’éducation de nos enfants aux rappeurs américains bling bling, à la pornographie au consumérisme égoïste, au mercantilisme de la téléréalité, et au culte de l’indifférence et de la violence.

   Un père en colère  est-il un roman de droite ? On pourrait le croire, si l’on en juge par sa vision pessimiste et par les thèses qu’il défend. Mais il serait simpliste de le réduire à cela, parce que sa réhabilitation de l’autorité est aussi un plaidoyer pour la bienveillance et l’humanisme, et une apologie du modèle républicain d’intégration par l’éducation, incarné dans le roman par Kamel, un beur qui échappe à la vie de la cité en préparant les concours des grandes écoles d’ingénieurs.