Littérature contemporaine

Pise 1951 – Dominique Fernandez

Marc Bordier par Marc Bordier /

Dominique Fernandez est l’auteur de multiples romans, essais et récits de voyage consacrés à la Russie et à l’Italie, pays pour lesquels il nourrit depuis de longues années une fascination amoureuse teintée de nostalgie. Son dernier roman, Pise 1951, s’inscrit dans cette lignée. Comme son titre le suggère, il a pour cadre l’Italie archaïque et pittoresque de l’après-guerre. Dans ce pays fragile en cours de reconstruction, deux amis parisiens partent étudier durant une année à l’Ecole normale supérieure de Pise. Le premier, Robert Colinet, issu d’une famille ouvrière du XVème arrondissement, est sociable, ouvert et entreprenant; le second, Robert Thorel, pur produit de la bourgeoisie intellectuelle du VIIème, se montre plus réservé et renfermé. Ensemble, ils vont vivre une année initiatique au milieu des étudiants italiens et rencontrer l’amour en la personne d’Ivanka, une jeune aristocrate italienne mystérieuse qui mène une existence recluse dans une villa décatie à l’extérieur de la ville.

Le roman de Dominique Fernandez séduira les amoureux de l’Italie. Reprenant les topoï habituels du récit d’apprentissage (héros jeune arrivant dans un lieu nouveau où il fait des rencontres amicales ou amoureuses qui sont autant d’initiations dont ils sortira transformé), ils les utilise habilement pour partager avec le lecteur son intérêt pour cette période mouvante au cours de laquelle se construit l’identité de l’Italie moderne. Il décrit ainsi l’instabilité politique du pays à travers les luttes entre étudiants communistes et chrétiens-démocrates, mais aussi, de manière plus discrète, sa situation géopolitique sur la scène internationale par l’évocation de la base américaine qui rappelle la défaite de la seconde guerre mondiale et les débuts de la guerre froide. Sur le plan économique, la situation précaire des Tibaldi souligne la pauvreté du pays, mais les scènes de tourisme automobile suggèrent aussi les débuts d’une prospérité nouvelle. Enfin, c’est surtout la dimension sociale et culturelle qui intéresse le romancier : dans les discussions entre les jeunes étudiants français et leurs camarades italiens (le plus intéressant étant sans doute le cynique et gouailleur Ivos) se dessine un pays prisonnier de ses rigidités sociales, dans lequel les rencontres entre hommes et femmes obéissent à des règles strictes. C’est d’ailleurs le sujet principal du roman, dont l’intrigue tourne autour de la relation complexe qui se noue entre Ivanka et les deux héros. En effet, de manière assez classique dans un récit initiatique, la rencontre avec l’Italie passe par une relation amoureuse, placée ici sous le modèle idéalisé et littéraire de l’amour légendaire entre Dante et Béatrice. Sa particularité dans Pise 1951 est qu’elle met en jeu une jeune fille romantique et mystérieuse et une rivalité entre deux amis opposés par leur caractère et leurs origines sociales. Cette relation ambiguë ira crescendo jusqu’à un dénouement surprenant que je me garderai bien de vous révéler. Le récit est servi par une narration fluide principalement centrée sur le point de vue du personnage de Robert, et par un style qui fait la part belle aux italianismes, particulièrement nombreux dans les scènes de dialogue. Cette insistance pourra agacer certains par son côté snob, mais force est de constater qu’elle produit assez efficacement une impression de couleur locale qui ravira les lecteurs italophones.

J’ai choisi ce livre parmi d’autres pour son titre évocateur, en prévision d’un week-end à Pise. Mes obligations professionnelles m’ont finalement contraint à renoncer à ce séjour tant désiré, mais j’ai pu me consoler grâce au récit de Dominique Fernandez. C’est un guide éclairé et passionné, en compagnie duquel j’ai passé un agréable moment.