Littérature contemporaine

Les mensonges ne meurent jamais – Séverine de La Croix

Marc Bordier par Marc Bordier /

Les mensonges ne meurent jamais

  Ce week-end, j’ai passé le plus clair de mon temps au coin du feu à lire le livre de Séverine de La Croix, Les mensonges ne meurent jamais. Il faut dire que ce roman sait tenir son lecteur en haleine grâce à une stratégie de dévoilement progressif servie par une structure narrative en forme de compte à rebours. Dans ce thriller psychologique, une jeune femme trentenaire remonte le cours de son histoire familiale pour percer à jour de lourds secrets. En 2012, à l’occasion d’une soirée entre amis, Manon apprend par hasard que son oncle a fait sept ans de prison pour viol dans les années quatre-vingt, alors que sa mère et sa grand-mère avaient toujours prétendu qu’il était parti poursuivre des études à Londres. Remontant dans le passé, la jeune femme mène une enquête approfondie. Au fur et à mesure qu’elle avance dans ses recherches, elle découvre avec horreur les terribles secrets de famille dissimulés par sa grand-mère Louise, une aristocrate protestante hautaine et manipulatrice prête commettre tous les mensonges les plus abominables pour préserver la fortune et la réputation de son clan. En levant le voile sur ces douloureux secrets, Manon vit elle-même une descente aux enfers, et bientôt son mari désespéré se rend chez les policiers pour signaler sa disparition…
   L’originalité de ce récit tient à sa construction narrative sophistiquée, dont la temporalité fait alterner le passé et le présent dans un compte à rebours impitoyable qui s’accélère pour aboutir à une issue tragique. Le pivot central est la date du 17 octobre 2013, au cours de laquelle tous les membres de la famille de Manon sont convoqués au commissariat pour s’expliquer sur les circonstances troubles qui ont entouré sa disparition. Chaque entretien avec le lieutenant de police qui mène l’enquête est suivi d’un chapitre racontant les faits qui se sont déroulés quelques jours plus tôt, alors que Manon se lançait sur les traces de son histoire familiale. Ainsi, les deux enquêtes se déroulent parallèlement jusqu’à se rejoindre à la fin.
    J’ai déjà rencontré une forme narrative proche dans deux romans que j’ai particulièrement appréciés, Le Passager de Jean-Christophe Grangé, et La Vie d’une autre, de Frédérique Deghelt (à ce sujet, je vous invite à relire les billets que je leur ai consacrés sur ce blog http://marcbordier.blogspot.co.uk/search?q=Le+passager). Les deux ont d’ailleurs en commun avec Les mensonges ne meurent jamais de raconter une enquête policière et une quête identitaire. Toutefois, le roman de Séverine de La Croix pousse la logique plus loin en y ajoutant un compte à rebours qui renforce le sentiment d’inéluctabilité et de fatalité, à la manière des tragédies classiques. C’est un procédé narratif redoutablement efficace et particulièrement bien adapté à une enquête policière. En lisant le roman, je songeais d’ailleurs souvent à la première saison de la série Damages, où il est appliqué avec le même succès.
   Roman policier, Les mensonges ne meurent jamais est aussi un récit psychologique qui a pour thème principal la communication au sein de la famille et du couple. Il évoque les difficultés à communiquer entre  mari et femme, frère et sœur, et entre générations au sein d’une même famille. L’intrigue est fondée sur un jeu d’opposition entre une parole mensongère et verrouillée par les convenances sociales et religieuses d’une part, incarnée dans le récit par l’intransigeance muselière de la grand-mère, et une communication libre et sincère, capable de s’exprimer dans les mots d’amour et la communion érotique des corps. Cette opposition dialectique sert de moteur au récit, et la tension qui en résulte trouve sa conclusion dans un dénouement que je vous laisse le soin de découvrir par vous-mêmes…