Littérature contemporaine

L’Art français de la guerre : un roman qui vous passionnera… ou vous fera mourir d’ennui

Marc Bordier par Marc Bordier /

L'Art français de la guerre

Comme de nombreux lecteurs, j’ai mis du temps à lire l’Art français de la guerre, le roman d’Alexis Jenni. Tantôt, ce livre m’a passionné ; tantôt, il m’a ennuyé au point de me tomber des mains. Le sujet, pourtant, avait de quoi m’intéresser : cinquante années de guerres françaises racontées à travers l’amitié improbable enter un jeune homme désoeuvré et un ancien combattant parachutiste amateur de peinture, le tout entrecoupé de réflexions sur l’identité française, la race, le sang, la politique, la situation des banlieues, la langue française, l’amour et la violence sociale.

Une histoire des guerres françaises du vingtième siècle

Le roman débute à l’hiver 1991, au moment de la première guerre du golfe. Affalé devant sa télévision, le narrateur, un jeune lyonnais sans emploi, contemple mollement les images du conflit à la télévision, notant au passage leur manque de consistance. La guerre en cette fin de vingtième siècle fait toujours des morts, mais elle n’est plus qu’une image désincarnée sur un écran.

Quelques jours plus tard, le narrateur fait connaissance avec Victorien Salagnon, un peintre vieillissant qui a participé à toutes les guerres françaises de la deuxième moitié du vingtième siècle, de la Résistance à l’Algérie en passant par l’Indochine. De leur amitié naîtra ce roman de l’Art français de la guerre, récit de cinquante ans de conflits vus à travers l’histoire d’un homme qui en fut à la fois un acteur de premier plan et un observateur détaché. Par moments, la narration s’interrompt pour céder la place à des séquences dites “Commentaires” dans lesquelles le narrateur livre ses réflexions sur la guerre sociale dont il est témoin dans la France d’aujourd’hui.

Un roman long, tantôt passionnant, tantôt ennuyeux

Je serais bien embarrassé de dire si j’ai aimé ce roman, ou si je l’ai détesté. Probablement un peu les deux. Parfois, il m’a captivé avec ses récits de batailles ou ses réflexions sur ce qui définit l’art français de la guerre, cette violence porté par l’idéologie et le verbe, et qui aboutit inévitablement à l’échec dans la désorganisation, comme ce fut le cas à Bien Bien Phu ou à Alger. J’ai également particulièrement apprécié la lecture de la guerre sociale contemporaine entre les jeunes des cités et les athlètes en uniformes bleus de la police nationale, ou entre les manifestants et les forces de l’ordre. Cela donne des passages brillants et pleins d’originalité, servis par une belle écriture fluide, comme celui-ci par exemple (p. 190 dans l’édition Folio) : “En France, nous savons organiser de belles manifestations. Personne au monde n’en fait de si belles car elles sont pour nous la jouissance du pouvoir civique. Nous rêvons de théâtre de rue, de guerre civile, de slogans comme des comptines, et du peuple dehors ; nous rêvons de jets de tuile, de pavés, de barricades mystérieuses érigées en une nuit et de fuites héroïques au matin. Le peuple est dans la rue, les gens sont en colère, et hop ! descendons, allons dehors ! Allons jouer l’acte suprême de la démocratie française. Si pour d’autres langues la traduction de “démocratie” est “pouvoir du peuple”, la traduction française, par le génie qui bat dans ma bouche est un impératif : “Le pouvoir au peuple ! ” et cela se joue dehors, par la force ; par la force classique du théâtre de rue.”  En lisant cela, le lecteur contemporain ne peut s’empêcher de sourire en songeant à la récente polémique entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron à propos des manifestations contre les ordonnances de la loi travail.

Mais ces passages savoureux sont malheureusement trop souvent gâchés par des digressions oiseuses sur lesquelles le lecteur laissera glisser son esprit sans y trouver la moindre aspérité pour retenir son attention. Afin de conserver les quelques personnes qui suivent ce blog, je vous en ferai grâce, mais sachez qu’elles occupent des pans entiers du livre.

Un roman ambitieux et touffu

En fait, le livre d’Alexis Jenni a les qualités de ses défauts, et les défauts de ses qualités. Roman ambitieux et touffu, l’Art français de la guerre a grandi au fil de son écriture, comme l’auteur l’explique assez bien dans cet entretien vidéo. Parti d’un projet modeste, il a pris de l’ampleur au fil de sa rédaction, comme un fleuve qui finit par déborder de son lit. Malgré son style fluide et très travaillé, il aurait gagné à une relecture critique. Après tout, l’esprit français est aussi un art de la concision.