Littérature contemporaine

Jacques Vergès cite François Villon – La Ballade des pendus

Marc Bordier par Marc Bordier /

J’ai assisté vendredi soir au spectacle de Jacques Vergès, Serial plaideur. Le célèbre avocat y soliloque longuement sur son métier en racontant quelques uns des procès dans lesquels il est intervenu. L’exercice est intéressant par moments, mais bien souvent un peu figé, et je suis sorti du théâtre un peu déçu. Malgré tout, j’en retiens ce beau passage : pour illustrer sa théorie selon laquelle les criminels, si odieux que soient leurs crimes, ne sont pas des monstres, mais bel et bien des hommes semblables à nous, Vergès récite les premiers dizains de la magnifique Ballade des pendus de François Villon :

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cuers contre nous endurciz,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz

Vous nous voyez cy attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre

De nostre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutesfois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas le sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d’oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A luy n’avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n’a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.

Appuyée sur ce texte à la fois horrible et touchant, la démonstration de Vergès m’a convaincu.