Littérature contemporaine

Claire Legendre – Vérité et amour

Marc Bordier par Marc Bordier /

Prague

 

   Le dernier livre de Claire Legendre, Vérité et amour, emprunte son titre à une phrase par laquelle Vaclav Havel résumait l’esprit de la révolution de velours qui fit chuter le régime socialiste en Tchécoslovaquie en novembre 1989 : “La vérité et l’amour doivent triompher du mensonge et de la haine“. Ce roman raconte l’histoire de Francesca, une professeur d’histoire-géographie originaire de Nice venue suivre son mari expatrié  dans les frimas de la capitale tchèque. Conseiller culturel à l’ambassade de France, ce dernier est davantage soucieux de la progression de sa carrière que du bonheur de son épouse. Aliénée dans ce pays inconnu dont elle ne parle pas la langue, malheureuse dans son couple qui bat de l’aile, Francesca mène la vie dorée et désoeuvrée de “femme d’expat’ “.  Après quelques semaines d’errances dans les rues et les cafés de cette ville étrangère, elle commence à se reconstruire en donnant des cours de français à des Tchèques désireux d’apprendre notre langue. 
    Ce récit est celui d’une initiation et d’une libération. Ancienne adhérente de la Jeunesse communiste, Francesca a rencontré son mari sur les bancs de la fac, et elle partage avec lui de solides convictions d’intello bobo de gauche. Elle quitte la France au moment de l’élection de Nicolas Sarkozy, qu’elle associe dans l’incipit du roman à la déliquescence de son couple : “Sarkozy a été élu et nous avons cessé de faire l’amour.” Venue à Prague dans l’espoir de redonner vie à un amour déclinant, elle va en quelque sorte vivre sa propre révolution de velours, remettant en cause sa vision du monde et de son mariage jusqu’à ce que la vérité de ses aspirations profondes triomphe du carcan de mensonges et de froide détestation dans lequel elle vivait enfermée. A Prague, au contact de son petit groupe d’élèves, elle découvre une univers inversé dans lequel l’idéologie communiste n’est pas le visage de la résistance à un système de domination, mais le symbole même de l’oppression, tandis que le capitalisme libéral porte l’espoir d’une vie meilleure. Elle effectue ainsi un cheminement intellectuel qui l’amène à nuancer et enrichir ses convictions sans pour autant y renoncer. Parallèlement, elle est amenée à porter un autre regard sur son mariage : au départ résignée face à l’indifférence froide et goujate de son mari infidèle, elle finit par ouvrir les yeux et découvrir que l’idéaliste humaniste qu’elle a aimé autrefois s’est transformé en un arriviste ordinaire capable de sacrifier ses collègues pour faire progresser sa carrière. A son tour, elle finit par le tromper, sinon en actes, du moins en intention, et par se détacher complètement de lui. A la fin du récit, transformée intellectuellement et libérée sentimentalement, elle s’envole pour une nouvelle vie à Montréal.
  J’ai bien aimé ce livre. Construit sous la forme de chapitres courts dont les titres sont autant d’allusions à l’histoire, l’actualité ou la littérature (“Visages humains“, “L’occasion de se taire”, “ L’ère du soupçon“, “ La putain de la République“), il est mené à une rythme vif dans un style qui sait emprunter aussi bien au registre littéraire qu’à la langue triviale, notamment lorsqu’il évoque le désir et les chassés-croisés amoureux. Tour à tour roman psychologique, chronique politique, récit de voyage ou roman d’espionnage, il saura vous tenir captivé jusqu’à la dernière page, et je ne saurais trop vous conseiller de le lire.