Littérature anglaise

Dans la dèche à Paris et à Londres – George Orwell

Marc Bordier par Marc Bordier /

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L’écrivain britannique George Orwell est surtout connu du grand public pour son roman 1984, dans lequel il dénonce les totalitarismes nazi et stalinien et met en évidence les mécanismes psychologiques et idéologiques par lesquels un Etat parvient à contrôler les individus. Mais avant d’écrire ce chef d’œuvre, Orwell a vécu une existence riche en épisodes variés qu’il a relatés dans ses nombreux articles, récits, et œuvres de fiction, parmi lesquels on peut citer En Birmanie et Dans la dèche à Paris et à Londres. Il y a quelques années, j’ai lu et commenté (en anglais) ma lecture du roman En Birmanie, un récit fictif mais inspiré à l’écrivain par ses années dans la police coloniale britannique. J’ai récemment recopié cet article sur mon blog vous invite à le lire si vous ne l’avez pas déjà fait. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’un autre récit orwellien, celui-là ouvertement autobiographique : Dans la dèche à Paris et à Londres.

 

Une vie de misère à Paris et à Londres

Publié pour la première fois en anglais en 1933 sous le titre Down and Out in Paris and London, ce livre raconte les années d’errance et de bohême du jeune Orwell au tournant des années 20 et 30. Bien que diplômé de la prestigieuse boarding school Eton, il mène alors une existence précaire en tant que professeur d’anglais à Paris dans le quartier latin. Pour compléter ses maigres ressources, il devient plongeur dans un hôtel-restaurant chic situé à proximité de la place Vendôme. Après quelques mois de cette existence, il rentre à Londres dans le East end (les quartiers populaires de l’est de la ville, par opposition au West end plus cossu) et mène une vie de vagabondage dans le Kent et le Sussex en rejoignant chaque soir un foyer pour indigents.

 

Un récit authentique

D’un point de vue littéraire, ce récit frappe le lecteur par son authenticité et sa justesse. Avant Orwell, bien des écrivains se sont intéressés de manière sincère au sort des déshérités : pour s’en convaincre, il suffit de songer aux pages magnifiques que Hugo leur a consacrées dans Les Misérables ou bien à la description de l’alcoolisme et de la prostitution dans les milieux populaires chez Zola. Toutefois, si ces deux grands écrivains ont connu des difficultés financières dans leur jeunesse, ils n’ont pas puisé dans cette expérience de quoi nourrir leur œuvre et la description qu’ils font de la pauvreté provient avant tout de leurs capacités d’observation. Chez Orwell, c’est tout l’inverse : dans un style simple et sans emphase, il raconte le quotidien ordinaire des pauvres, le souci constant de mettre la main sur quelques pièces pour s’acheter une miche de pain, la sensation de faim, les cafards qui infestent sa misérable chambre d’hôtel, les projets hasardeux pour trouver un emploi, et les conditions de travail épouvantables dans les cuisines d’un grand restaurant parisien, sa hiérarchie sociale subtile entre serveurs, cuisiniers et plongeurs. A Londres, il donne à voir les habitudes des vagabonds, leur argot, les différences entre les foyers, leurs règles d’hébergement et les raisons qui obligent les pauvres à se mettre constamment en mouvement pour passer d’un asile de nuit à un autre.

 

L’éveil d’une conscience politique

Dans le dernier chapitre du livre, le narrateur se fait essayiste et nous livre quelques réflexions sur ses années de misère, en posant cette question essentielle : pourquoi existe-t-il des vagabonds ? Démontant le mythe du vagabond paresseux, ivre et dangereux, il montre que le vagabond n’est rien d’autre qu’un citoyen ordinaire forcé par les circonstances à mener une existence foncièrement vaine, oisive et solitaire, sans autre perspective que d’errer sans fin dans l’espoir de trouver une maigre subsistance pour tenir jusqu’au lendemain. Plus qu’un simple récit, Dans la dèche à Paris et à Londres est donc déjà un ouvrage politique, dans lequel transparaissent les convictions que son auteur défendra des années plus tard dans un essai intitulé Pourquoi j’écris :Tout ce que j’ai écrit d’important […], chaque mot, chaque ligne, a été écrit, directement ou indirectement, contre le totalitarisme, et pour le socialisme démocratique tel que je le conçois.

Mots clés

George Orwell, Littérature anglaise