Essais

Quand la France s’éveillera – Pascal Lamy

Marc Bordier par Marc Bordier /

Quand_la_France_s'éveillera

   Pour mon anniversaire, j’ai reçu un exemplaire de Quand la France s’éveillera, un essai passionnant de Pascal Lamy, consacré à la place de la France dans l’Europe et le monde du 21ème siècle. L’auteur connaît son sujet : successivement commissaire européen chargé du commerce et directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il a eu l’occasion de dialoguer avec des chefs d’Etat et des responsables internationaux tout au long de sa carrière. Politiquement, c’est un social-démocrate proche de Jacques Delors, un défenseur de l’économie sociale de marché.
   Dans cet ouvrage, il part de sa perplexité face à la réaction des députés français lors de son intervention devant l’Assemblée Nationale  en février 2013. Invité à partager sa vision de la mondialisation, il a été reçu avec hostilité  et défiance par les élus de droite comme de gauche, qui ont unanimement exprimé leur rejet d’une mondialisation prédatrice et broyeuse des peuples, dans laquelle l’Europe serait au mieux impuissante, au pire coupable et complice. C’est en réaction à cette vision fantasmée, ce “cauchemar”, qu’il a entrepris la rédaction de ce livre. Dans le premier chapitre intitulé La Mondialisation Janus, il décrit les deux visages de la mondialisation. L’un, positif, voit la réduction de la pauvreté et de la faim dans le monde et l’essor d’une classe moyenne éduquée dans les pays qui appartiennent à ce que l’on appelait autrefois le “tiers-monde”. Cette évolution est symbolisée notamment par un fait majeure passé inaperçu dans l’actualité : en 2012, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la richesse produite par les pays du “Sud” a dépassé celle du “Nord”. Pour autant, Pascal Lamy n’oublie pas la face sombre de la mondialisation, celle d’un capitalisme déréglé qui, livré à lui-même, se montre déséquilibré et destructeur, source de chômage, délocalisations, inégalités et catastrophes écologiques.
   Face à ces risques, l’auteur plaide pour une mondialisation régulée par des institutions et des ensembles régionaux. Au premier rang d’entre eux figure l’Europe, dont la vocation est selon lui de “civiliser la mondialisation”.  Pour cela, elle doit retrouver ce qu’il appelle “un narratif”, un récit commun qui fonde son identité et lui donne l’élan pour progresser et trouver sa place dans le monde. Pour les générations qui ont connu la guerre, le “plus jamais ça” a constitué ce récit identitaire. La réconciliation franco-allemande et la vision des pères fondateurs ont favorisé l’émergence d’une Europe prospère et démocratique symbolisée par l’avènement du marché commun. Mais ce récit est aujourd’hui dépassé, et l’Europe est arrivée à la fin d’un cycle. Pour retrouver un nouveau souffle et jouer son rôle civilisateur dans la mondialisation, elle doit construire un nouveau narratif fondé sur un modèle de croissance équilibrée  alliant le dynamisme d’une économie ouverte et concurrentielle à l’impératif moral de justice sociale et de respect de l’environnement. Dans ce mouvement, la France ne peut rester passive : elle doit s’éveiller du cauchemar et des fantasmes qui déforment sa vision de la mondialisation, prendre conscience de ses atouts comme de ses blocages, et engager les réformes structurelles de son administration, de son économie et de ses finances qui la sortiront de ses difficultés. En ouvrant les yeux, la France regagnera la place qui lui revient aux côtés de l’Allemagne dans la construction de l’Europe et du monde de demain.
   L’essai de Pascal Lamy se lit facilement, et il plaira aux lecteurs qui partagent son optimisme et ses opinions socio-démocrates. Il constitue un bon complément à la lecture de Changer de modèle, le livre d’économie dont je parlais sur ce blog il y a quelques semaines. Là où Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen plaçaient leur propos dans une perspective très française malgré des exemples inspirés de l’étranger, Pascal Lamy situe sa réflexion dans un cadre plus global et plus vaste, celui d’une vision pour l’Europe et la mondialisation. Souhaitons qu’elle soit un jour partagée par les 25% d’électeurs français qui ont voté Front National aux dernières élections européennes.