Essais

La cupidité, c’est bien ?

Marc Bordier par Marc Bordier /

Dollars

 

      En lisant L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme,j’ai souvent pensé cette scène célèbre du film Wall Street d’Oliver Stone (1987), dans laquelle  le richissime spéculateur  Gordon Gekko dresse une brillante apologie de la cupidité devant un parterre de financiers et d’actionnaires : “Greed, for lack of a better word, is good. Greed is right. Greed works. Greed clarifies, cuts through, and captures, the essence of the evolutionary spirit. Greed, in all of its forms; greed for life, for money, for love, knowledge, has marked the upward surge of mankind and greed, you mark my words, will not only save Teldar Paper, but that other malfunctioning corporation called the U.S.A“.  En effet, l’essai de Max Weber montre bien comment le protestantisme est parvenu à surmonter l’opposition dialectique entre l’argent et la spiritualité en faisant de l’accumulation d’argent par l’exercice d’une activité professionnelle un moyen de contribuer à la gloire de Dieu. Peut-on pour autant affirmer, comme le fait le personnage de Gordon Gekko, que “la cupidité, c’est bien” et, par une belle acrobatie de sophiste, transformer un vice en vertu ? Ce n’est en tout cas pas ce que dit Max Weber. Si son essai dresse effectivement l’éloge du capitalisme, il se concentre en fait sur une forme particulière  qui est celle du capitalisme rhénan du début du siècle (Max Weber écrit dans l’Allemagne de 1905), fondé sur l’activité industrielle et une certaine modération sociale dans laquelle patrons et ouvriers accomplissent leur vocation sur terre en travaillant ensemble et en bonne entente à l’accumulation de richesses  en vue d’un usage raisonnable. Il ne s’agit donc pas de l’ambition et de la soif de jouissance débridées qui animent les spéculateurs tels que le personnage (fictif) de Gordon Gekko ou son homologue (celui-là bien réel) de Bernard Madoff. Weber écrit ainsi dans la dernière partie de son ouvrage :” l’ascétisme protestant, agissant à l’intérieur du monde, s’opposa avec une grande efficacité à la jouissance spontanée des richesses et freina la consommation, notamment celle des objets de luxe.

   Personnellement, je trouve cette dichotomie entre capitalisme rhénan et capitalisme anglo-saxon (théorisée notamment par Michel Albert dans son ouvrage paru en 1991 “Capitalisme contre capitalisme“) très séduisante intellectuellement, mais aussi très simpliste et confortable. Car le capitalisme , qu’il s’agisse de celui de l’Allemagne du début du siècle ou des salles de marché de Londres ou de Wall Street aujourd’hui, est avant tout un système fondé sur la recherche du profit individuel, et c’est bien là ce qui fait à la fois sa principale qualité et son premier défaut : qualité parce que la recherche du profit individuel est un puissant stimulant de l’activité économique, et défaut parce qu’elle engendre violence et inégalités sociales.