Classiques

Mérimée – Colomba

Marc Bordier par Marc Bordier /

Sartène

 

  En ouvrant le journal ce week-end, j’étais loin de me douter que j’y trouverais un fait divers qui donne rétrospectivement une saveur particulière à la lecture de Colomba, la nouvelle de Mérimée dont je m’apprêtais à rédiger la chronique ici-même (voir mon dernier billet daté du 29 août). Samedi matin, une fusillade sanglante a éclaté sur la place principale de Sartène, celle-là même où je déjeunais en compagnie de quelques amis il y a deux semaines à peine. Fidèle à mon habitude d’explorer une région à travers son histoire littéraire, je m’y étais rendu pour découvrir cette ville que Mérimée a appelée « la plus corse des villes corses » et dans laquelle il a puisé les histoires de vendetta qui forment la trame de sa nouvelle. Curieuse coïncidence, qui démontre aussi la justesse de la fiction littéraire quand elle décrit le monde comme il va.

 

Colomba raconte une de ces terribles vengeances corses en mélangeant deux histoires de haines de clans survenues à Sartène et Fozzano au début du XIXème siècle. Située quelques années après la bataille de Waterloo dans le village imaginaire de Pietranera, au nord de Bastia, la nouvelle met en scène le retour au pays d’un lieutenant corse en demi-solde, Orso della Rebbia, dont le père a été assassiné dans des conditions obscures au terme d’une longue dispute avec la famille rivale des Barricini. Sous l’influence diabolique et inflexible de sa soeur, la sauvage, impétueuse et mystérieuse Colomba, Orso sera amené à venger dans le sang le souvenir de son père en abattant les deux fils du chef des Barricini.

J’ai aimé le mélange de romantisme et de réalisme qui caractérise le récit de Mérimée. En effet, si l’intrigue s’appuie sur des ressorts hautement romantiques, au premier rang desquels la passion vengeresse et la fatalité dramatique, la narration et le traitement qui la déploient ont la froideur et la précision objective d’un récit réaliste. Cette union du feu et de la glace est d’autant plus puissante qu’elle est servie par une écriture juste et sobre, qui donne à voir et à entendre – notamment à travers les dialogues des personnages, particulièrement réussis – plus qu’elle n’explique ou ne commente. En effet, on ne trouvera pas ici de longues digressions, de descriptions ou de commentaires intempestifs : la nature du peuple corse y est montrée à travers les actes et les paroles des protagonistes, y compris dans ce qu’elle peut avoir d’âpre et de brutal. Les personnages constituent d’ailleurs l’intérêt principal de la nouvelle, en particulier celui de Colomba. Face à un frère « européanisé » après ses années de service sur le continent, elle est la gardienne des traditions d’honneur qui exigent une vengeance, et fera preuve d’une détermination implacable jusqu’à son accomplissement. La scène finale de la confrontation entre Colomba et le vieux père Barricini accablé par la mort de ses fils bien-aimés constitue, par sa cruauté horrible et sublime à la fois, un véritable morceau d’anthologie que tout lecteur appréciera.

 

PS : un lien vers un site consacré au village de Fozzano et à l’histoire de Colomba

http://www.photos-passions.com/page%20fozzano.htm