Classiques

Madame de Lafayette – La Princesse de Clèves

Marc Bordier par Marc Bordier /

Princesse de Clèves

    La Princesse de Clèves, classique de la littérature française depuis des décennies, a connu un curieux regain d’intérêt de la part du public grâce aux déclarations maladroites de Nicolas Sarkozy. Rappelons les faits. En février 2006, celui qui était alors encore simple candidat à la Présidence de la République a affirmé: “Un sadique ou un imbécile avait mis dans le programme [du concours d’attaché d’administration] d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves. Imaginez un peu le spectacle !”. Une fois élu, il a tenu un discours similaire à l’occasion d’un déplacement à Lyon à la fin de l’année 2008 (vous pouvez consulter ici ses propos exacts). Influencé par ce contexte particulier, j’ai récemment relu le roman de Madame de La Fayette en me posant les questions suivantes: comment La Princesse de Clèves peut-elle éclairer le lecteur d’aujourd’hui, dans sa vie personnelle ou professionnelle? En quoi peut-elle lui être utile dans un univers dominé par les compétences techniques, commerciales, ou administratives?

    Comme la plupart des grands textes classiques, La Princesse de Clèves exige du lecteur moderne une concentration et une attention auxquelles ne l’ont pas habitué les écrans qui monopolisent d’ordinaire ses facultés intellectuelles. Passé le célèbre incipit (“La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second.”), il doit retrouver son chemin au milieu d’une longue galerie de portraits historiques, et suivre un fil narratif certes linéaire, mais entrecoupé de quatre récits enchâssés illustrant les dangers de la passion amoureuse. Lire le roman de Madame de La Fayette, c’est donc cultiver la persévérance et le goût de l’effort. Ne sont-ce pas là des qualités appréciables dans la vie professionnelle? 
      Sur la forme, La Princesse de Clèves se distingue par un style sobre, simple et naturel. Selon l’usage de l’époque classique, Madame de La Fayette refuse l’effet pour l’effet, les métaphores coquettes, les ornements fleuris. En parlant de son roman, elle écrit dans une lettre à une amie “je le trouve très agréable, bien écrit, sans être extrêmement châtié […]. Il n’y a rien de romanesque ni de grimpé” (“grimpé” désignant ici un style prétentieux, excessivement élevé). Il ne faut pas voir dans ces affirmations la manifestation d’un quelconque narcissisme, mais plutôt le jugement sûr d’une artiste qui fait tendre tous ses efforts vers la clarté, la concision et la simplicité. Tout au plus peut-on relever dans son roman une présence un peu trop fréquente des superlatifs et des hyperboles pour désigner les brillantes qualités des gentilshommes de la cour de Henri II, mais cela fait partie du style littéraire précieux. Dans l’ensemble, l’écriture de Madame de La Fayette est un modèle pour  les amoureux de la langue française, et son étude est plus que jamais nécessaire dans un monde où l’écrit retrouve toute sa place grâce à la multiplication des correspondances électroniques.
      Enfin, La Princesse de Clèves est un chef d’oeuvre d’analyse du sentiment amoureux et de ses dangers. Le roman montre la naissance de l’amour, ses élans, ses doutes et ses reflux, ses joies et ses souffrances, les jalousies et les peines terribles qu’il peut inspirer. C’est un ouvrage de casuistique amoureuse, une anthropologie fine qui explore les variations du coeur sur le mode de l’introspection. Sans doute la guichetière de M. Sarkozy n’en a-t-elle pas besoin pour apposer des coups de tampons derrière son guichet. Mais si elle veut s’élever vers de nouveaux horizons, aussi bien matériellement qu’intellectuellement, elle trouvera une bonne guide dans La Princesse de Clèves.