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Un classique très contemporain : les Contes de Canterbury

Marc Bordier par Marc Bordier /

Contes-Canterbury

Les Contes de Canterbury fait partie de ces classiques dont tout le monde connaît le titre, mais que personne n’a lus. Est-ce parce que le lecteur contemporain les juge dépassés ? A l’ère d’Instagram et de Netflix, qu’est-ce qu’un poète anglais du XIVème siècle peut avoir à nous raconter d’intéressant ? Pour le savoir, il suffit aux esprits curieux d’ouvrir les premières pages de ce livre. Ils ne seront pas déçus du voyage.

Les Contes de Canterbury est un recueil de vingt-quatre histoires en vers enchâssées dans un récit-cadre qui met en scène un groupe de pèlerins voyageant de Southwark, sur la berge sud de la Tamise, à Cantorbury dans le Kent (sud-ouest de l’Angleterre). Leurs origines et leurs métiers très divers reflètent la société de l’époque. On trouve ainsi parmi eux un chevalier, un marchand, un meunier, une bourgeoise de Bath, un frère mendiant, un marchand d’indulgences, un cuisinier, un étudiant d’Oxford… Pour se divertir durant le trajet, ils racontent tour à tour des fabliaux, des contes mythologiques, des romans de chevalerie, des récits hagiographiques… D’une grande variété, ces contes sont tantôt sublimes et élevés par leur ton et leur sujet (le Conte du Chevalier, qui mêle des éléments du roman courtois et de la tragédie), tantôt lestes et grivois (Le Conte du Meunier, qui repose sur un comique de geste et un récit plaisant d’adultère avec le trio habituel du mari, de l’épouse infidèle et de l’amant). Leur ambition est double : instruire le lecteur par des maximes et des morales, mais aussi et surtout le divertir par un ton plaisant et des situations cocasses.

Pour le lecteur contemporain, la première surprise est que ces récits sont en fait très faciles à lire. Ecrits dans un anglais du moyen-âge, ils ont été traduits et adaptés par des universitaires tels que Nevill Coghill pour l’édition anglaise dans la collection Penguin Classics et André Crépin pour l’édition française Folio Classique chez Gallimard. Ces derniers ont réussi le tour de force de restituer le texte dans une langue accessible au public contemporain, pleine de verve et d’humour, sans rien trahir de de leur esprit ni de leur substance. Dans leur forme et dans leur ton, les récits ont gardé leur brièveté, leur incisivité, et leur vigueur. En outre, ils sont largement indépendants les uns des autres, donnant ainsi au lecteur le loisir de les parcourir dans le désordre, ou même de sauter les passages qu’il pourrait juger ennuyeux.

La deuxième surprise est que malgré les siècles qui nous séparent de la société anglaise du XIVème siècle, les préoccupations et les sujets de discussion des pèlerins sont d’une surprenante actualité. Dans les Contes de Canterbury, il est par exemple beaucoup question de la place des femmes dans la société et de leurs aspirations à l’indépendance et à l’égalité. Longtemps avant #metoo et le féminisme, Chaucer met en scène aussi bien des saintes prêtes à sacrifier leur vie sur l’autel de la fidélité conjugale que de fieffées coquines prêtes à tromper leur mari dès qu’il a le dos tourné. Dans le conte de la bourgeoise de Bath, un chevalier ayant violé une dame de la cour est ainsi condamné par la reine à errer jusqu’à ce qu’il ait trouvé la réponse à la fameuse question “que veulent les femmes ?”. Au bout d’un an, il se présente devant la cour et partage le fruit de sa quête : ce que veulent les femmes, dit-il, c’est pouvoir disposer d’elles-mêmes et traiter d’égale à égal avec leurs maris. Six-cents ans plus tard, la réponse du chevalier n’a rien perdu de sa pertinence.

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Mots clés

Féminisme, Geoffrey Chaucer, Les Contes de Canterbury, Moyen-âge